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ne peut plus oublier. La salle qu’ils ont vue était bien celle de Jacques de Brosses, celle même de saint Louis, maintes fois ruinée par l’incendie et toujours reconstruite a la même place. Elle redevenait un moment salle de fête, comme au jour où elle fut consacrée, six siècles plus tôt, par Philippe le Bel ; et, toute bruissante de gaieté, elle représentait à ses convives, les avocats d’aujourd’hui, la vie que tant de générations d’avocats, durant ces six cents années, menèrent en ces lieux mêmes. L’antiquité des lieux attestait l’antiquité de leur institution ; ils en avaient tous le sentiment très fort, et leurs acclamations saluèrent le Bâtonnier, M. Busson-Billault, lorsque, en leur nom, il revendiqua l’honneur des lointaines origines et de la durée plusieurs fois séculaire.

D’ailleurs, le spectacle des tables dressées entre les piliers et des centaines d’avocats assis à ces tables, fournissait en même temps une des raisons qui ont fait et font encore le barreau si vivace. Il s’est toujours adapté, sans rien sacrifier de sa force, aux mœurs et aux idées changeantes. Etant toujours lui-même, il accueille toutes les opinions. C’est ainsi qu’on pouvait voir royalistes, bonapartistes, républicains et socialistes unifiés voisinant à la même table. Une camaraderie, fondée sur l’égalité absolue, rapprochait les vieux et les jeunes, les illustres et les obscurs. Par endroits, au milieu des habits noirs, un corsage clair rappelait que les femmes ont souhaité d’entrer au Barreau, et qu’elles y figurent, avec grâce, une des conquêtes les plus hardies du Féminisme… Cependant la Marseillaise, dont les statues de Malesherbes et de Berryer se renvoyaient les échos, avait retenti à l’entrée du chef de l’État qui faisait à l’Ordre l’honneur de présider le banquet : et le Bâtonnier le remerciait, aux applaudissemens de tous, d’avoir bien voulu apporter à cette fête le drapeau de la patrie… L’archaïsme se mêlait à toutes ces manifestations de la vie et du monde d’à présent : il en était comme vivifié ; il leur donnait en retour cette empreinte que les hommes respectent, dès lors qu’ils s’élèvent un peu au-dessus de la barbarie, — celle du temps écoulé.

Une si grande solennité, et dont le succès a dépassé toutes les espérances, commémorait un événement insigne. Dans sa longue existence, l’Ordre des avocats a connu la mort, — une mort provisoire. Au début de la Révolution, le 2 septembre 1790, la Constituante supprima, non pas le rôle des avocats, mais