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France et à se créer ainsi une nouvelle Vénétie.  » — Sybel, dont les Allemands ne récuseront pas le témoignage, raconte, d’après un rapport de l’ambassadeur Goltz, dans son étude sur Napoléon III, que « le 21 avril, il renouvela l’assurance de ses bonnes dispositions en faveur de l’annexion des duchés à la Prusse, mais revint en même temps sur les compensations qu’il lui serait important d’obtenir en raison de l’opinion publique en France : Si vous aviez une Savoie, s’écria-t-il, la chose serait facile. Mais vous ne voulez pas entendre parler du Rhin, et je le comprends. Quant aux pays qui appartiennent à d’autres souverains, ce n’est pas si facile d’en disposer[1].  »

Si Napoléon III ne réclamait rien, Bismarck offrait. Govone est des plus explicites : « Je demandai si au-delà du Rhin il n’y avait pas quelque partie du pays où il fût possible d’obtenir un vote populaire favorable à une annexion à la France. Le comte de Bismarck répondit : Aucune ; les agens français eux-mêmes, qui ont parcouru le pays pour connaître les idées des populations, rapportent tous qu’aucune votation qui ne fût pas fictive ne pourrait réussir ; de sorte qu’il ne resterait qu’à indemniser la France avec la partie française de la Belgique et de la Suisse.  »

Il est faux que, déçu de n’avoir pas été écouté dans des propositions qu’il n’avait pas faites, Napoléon III ait travaillé à la défaite prussienne. Les hostilités commencées, il déclara sa neutralité : or à qui devait profiter cette neutralité ? Le général La Marmora l’a expliqué : « Évidemment, la neutralité de la France était plus utile à la Prusse qu’à l’Autriche, car elle lui avait permis de dégarnir le Rhin et de porter toute son armée contre l’Autriche. Pour que la neutralité de la France fût utile aussi à l’Autriche et lui permît de réunir ses troupes de Vénétie à son armée principale, il fallait que la neutralité de la France fût accompagnée de celle de l’Italie.  » En effet, pendant la guerre, les provinces rhénanes furent totalement dégarnies de troupes. Les Prussiens eussent-ils ainsi laissé l’accès de leur maison ouvert et se seraient-ils exposés à être assaillis sur leurs derrières, s’ils n’avaient pas eu une confiance entière en la bienveillance de l’Empereur ? Du reste, Bismarck qui, comme tous les grands fabricateurs de mensonge, se contredit sans vergogne, a reconnu les services qu’à cette époque lui avait rendus

  1. Rapport de Goltz du 25 avril 1866.