Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 1.djvu/291

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demandé le texte de ce télégramme ; j’avais répondu que Bismarck seul pouvait le donner et que je ne pouvais que l’induire des rapports qui nous avaient été envoyés par nos agens de Munich et de Berne. On m’avait alors objecté que le libellé de ce télégramme, fût-il ce que je le prétendais, n’était qu’une communication officieuse adressée seulement à quelques agens prussiens en Allemagne. Bismarck me rendit le service d’écarter lui-même cette double objection : il donna le texte envoyé le 13 juillet aux chancelleries et ce texte était exactement conforme à celui que j’avais induit des informations de nos agens. En outre, il ne lui contesta plus le caractère d’un document officiel adressé à tous ses ambassadeurs et ministres à l’étranger, puisqu’on le reproduisant, le Blue-Book anglais l’intitulait : Telegram adressed by the Prussian Government to foreign governments[1]. Il nous donnait gain de cause complète. Lorsque je lus, pour la première fois, cette preuve de nos assertions fournie par l’ennemi, je n’en pouvais croire mes yeux. À la réflexion, je me rendis compte du phénomène qui avait poussé Bismarck à se démasquer : il n’avait pas compris mon argumentation. Je n’avais jamais fait résulter l’offense du libellé du télégramme, mais du fait de sa publicité et de son envoi aux journaux et aux gouvernemens ; Bismarck crut que je la voyais dans les termes de sa rédaction, et pour démontrer que ces termes n’étaient pas blessans, il les révélait. En réfutant un argument que nous n’avions pas produit, il plaçait hors conteste celui que nous avions invoqué. Mentita est sibi iniquitas.

Puisque le télégramme d’Ems, dont les termes n’étaient plus mis en question, avait été communiqué officiellement aux Cabinets, on ne pouvait plus contester qu’il ne fût un soufflet intolérable. Du reste eussions-nous eu la bassesse d’âme d’en douter, les Allemands nous eussent obligés d’en convenir, car d’un bout de l’Allemagne à l’autre, il n’y eut qu’un cri, qui n’a pas cessé depuis, surtout après que la victoire l’a amnistié, pour représenter la réponse d’Ems, en la glorifiant, comme le type à jamais consacré de l’insolence volontaire, brutale, provocatrice, insultante. Mommsen sanctionna par son autorité celle glose chauvine. Dans une lettre adressée en italien aux Italiens il dit : « L’Allemagne ne souffrira pas d’intervention et, si vous

  1. « Télégramme adressé par le gouvernement prussien aux gouvernemens étrangers. »