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chancelier à ne pas poursuivre Plantier. Les propos que Decazes deux jours après tint à la tribune au sujet des relations diplomatiques entre la France et l’Italie, et la fin de non recevoir qu’opposa tout de suite l’Assemblée nationale à toute interpellation sur un tel sujet, paraissaient de nature aussi à rassurer l’Allemagne. C’étaient là des actes publics ; ils engageaient la majorité : ils coupaient court à certains bruits qui avaient pris leur origine en France même, et qui accusaient la France du 24 mai de préparer, sur l’ordre des évêques, une prochaine expédition de Rome et un nouvel incendie de l’Europe.

Mais Bismarck voulait-il être rassuré ? Le 21, Bülow revoyait Gontaut pendant de longs instans, et Bülow répétait : Il nous faut autre chose, une autre preuve que la France ne veut pas la guerre. Gontaut commençait à craindre que Bismarck n’exigeât bientôt, brutalement, une déclaration d’abus contre l’évêque Plantier. Subitement, quatre jours plus tard, l’atmosphère se rassérénait ; le marquis de Sayve, premier secrétaire de notre ambassade à Berlin, recevait de Bülow l’assurance que Bismarck était très satisfait de la suppression de l’Univers et du discours prononcé par Decazes ; quant à l’appel comme d’abus et aux autres moyens de poursuite que ménageait la loi française, Bülow lui disait simplement qu’il les faisait étudier et qu’on en parlerait plus tard. « Je suis porté à croire, télégraphiait Gontaut à Paris, que la question est en voie d’apaisement. » En fait, l’incident était clos.

C’est que, de toutes parts en Europe, — le comté de Gontaut-Biron et le duc Decazes en recueillirent bientôt les indices, — la politique bismarckienne commençait d’éveiller un mécontentement et de provoquer des réserves. « Bismarck, disait à Gontaut le prince Gortchakoff, ne peut vous faire la guerre, en ayant contre lui l’opinion morale de toute l’Europe, et il l’aurait. » L’Europe sentait chez Bismarck, comme le notait le duc Decazes après une conversation avec le prince Orloff, « un parti pris passionné de n’envisager les questions qu’au point de vue du cléricalisme, devenu sa préoccupation exclusive et presque maladive ; » et l’Europe, attentive naguère à la parole du chancelier lorsqu’il évoquait le spectre du « cléricalisme français, » se dérobait, finalement, à la tyrannie d’un tel parti pris. Sans demander l’aide d’aucune puissance, l’admirable diplomatie du ministère français avait su, d’une façon prudente et digne, faire