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acte du règlement d’intérêts auquel elle donnait lieu. Mais ni la juridiction ecclésiastique, ni la juridiction civile ne se désintéressaient du rétablissement de la bonne harmonie entre les époux. La séparation n’était prononcée qu’après une tentative de conciliation. Le conjoint qui quittait le domicile conjugal, même quand il avait de bonnes raisons pour cela, quand, par exemple, c’était une femme victime des mauvais traitemens de son mari, était privé des sacremens, dénoncé au prône, condamné à reprendre la vie commune. Avant tout il faut éviter le scandale et, pour l’éviter, prendre patience, savoir souffrir un peu ; c’est le point de vue social qui domine ici comme toujours aux dépens de l’intérêt individuel. Aussi quand la femme de Guill, Naufle, maltraitée par son mari, abandonne avec ses hardes le domicile conjugal pour se réfugier à l’hôpital d’Arans, elle a contre elle l’autorité civile et l’autorité religieuse. Le conseil de ville la fait expulser de l’hôpital, un échevin est commis pour réconcilier les époux et, le 29 mai 1618, la pauvre femme est condamnée par l’official à affronter de nouveau la brutalité de son mari. Le plus souvent la séparation n’est prononcée que pour un temps limité ou, si ce temps n’est pas déterminé, jusqu’au moment où Dieu ramènera la bonne intelligence. À cet espoir les jugemens joignent la prescription de respecter la fidélité conjugale. La séparation de corps entraînait la séparation de biens. Celle-ci, mettant la femme à l’abri des poursuites des créanciers du mari, intéressait les tiers. Aussi était-elle soumise à la publicité.

La mort du mari créait à la veuve une situation légale particulière. Il dépend d’elle d’avouer la mémoire et la gestion du défunt ou de les répudier. Accepte-t-elle la communauté, elle hérite de la moitié de l’actif et du passif sans pouvoir être pourtant engagée pour le second, — c’est ce qu’on appelle le bénéfice d’émolument, — au-delà du premier. Renonce-t-elle, au contraire, à la communauté, elle déclare son intention en justice ou par-devant notaire et dépose sur la fosse du cimetière la ceinture, la bourse et les clefs qui sont les symboles de son autorité domestique, puis elle fait dresser par un notaire un inventaire contradictoire de l’actif. Aux reprises qu’elle exerce, propres, droits de survie, objets à son usage personnel, il faut ajouter les habits de deuil dont les frais sont pris sur la communauté. Elle perdait son droit au deuil aussi bien que ses droits