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sa réserve première et, pour se faire pardonner sa témérité, met plus de respect encore que de tendresse dans l’expression de sa passion. Zaralinde répond qu’il lui tarde de pouvoir lui donner les dernières assurances de la sienne. Bien qu’il y manque tout ce que nous demandons aujourd’hui à un roman, c’est d’un roman qu’est tirée cette petite scène. Mais le mélange de hardiesse et de retenue que l’on y remarque et qui vient mêler quelque chose de vécu au poncif d’un genre conventionnel, nous allons le retrouver dans la vie réelle. Depuis un an Charles de Gouyon de La Moussaye est le prétendant agréé par la famille de Claude du Chatel. Comme il l’aime éperdument, il ne lui est pas possible de la perdre de vue. Il entre dans sa chambre où elle dort encore à côté de Mlle de La Touche qui partage son lit, il assiste en partie à sa toilette, lui tient son miroir, ses cheveux et s’empare sans grande résistance de ses mains pour les couvrir de baisers. D’autre part, il lui fait aussi, pendant qu’elle achève de s’habiller, des lectures édifiantes et, comme l’un et l’autre sont protestans, c’est surtout la Bible qui les lui fournit. Il sort avec elle, « la tenant toujours sous les bras, » c’est-à-dire appuyé sur elle. Quand il tombe gravement malade, sa fiancée veut accourir auprès de lui ; mais, tandis qu’elle a pu le laisser pénétrer dans son intimité, comme nous venons de le voir, sans blesser les convenances, ces mêmes convenances lui interdisent d’aller lui porter, alors qu’il est peut-être en danger, ses consolations et ses soins. Mme de Rieux lui en fait l’observation et elle renonce à le faire.

Au sein des classes populaires, de la classe rurale surtout, les premiers rapports des futurs, leurs fiançailles étaient marqués par un symbolisme rudimentaire et célébrés par des réjouissances qui n’étaient pas restreintes à la famille. Dans la haute Provence on se faisait accompagner chez les parens de la jeune fille, pour faire sa demande, d’une personne de leur connaissance, de ce qu’on appelait, aux environs de Gap, « un chat de maraude. » Si l’on était bien accueilli, on revenait un soir huit jours après, on faisait sa cour tandis que l’intermédiaire réglait avec les parens les questions d’intérêt. Dans la soirée qui se prolongeait assez tard, on mange une bouillie, et la quantité de fromage râpé que la jeune fille y répand, est la mesure du degré de sympathie qu’elle éprouve. Si elle n’agrée pas la demande, elle glisse quelques grains d’avoine dans la poche du