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la suite avaient multiplié les rapts et les mariages clandestins. J. Aug. de Thou, après nous avoir raconté que la commission parlementaire envoyée en Guienne en 1582 pour y rendre la justice et dont il faisait partie, annula un mariage contracté par une jeune fille sans l’autorisation de ses parens, ajoute que la peine de mort fut prononcée contre le séducteur dans le cas où il épouserait sa complice et justifie cette sévérité par le grand nombre de faits de ce genre qui rendait un exemple nécessaire. Ils avaient pour mobile la cupidité plus encore que le libertinage. Ce fut tout simplement pour assurer à son fils aîné mineur de dix ans une riche alliance que le duc de Mayenne enleva en 1582 Anne de Caumont La Force qui en avait douze et la confia en gardé à sa femme. Les paroles de présent une fois prononcées, on précipitait la consommation qui rendait l’annulation difficile.

Ce n’est pas démentir ce que nous venons de dire de l’influence moralisatrice de la législation civile, à partir surtout du moment où cette influence fut secondée par la juridiction ecclésiastique, que de faire remarquer la lenteur avec laquelle elle put agir. Le législateur ne mit pas moins de quatre-vingts ans, de 1556 à 1639, à entourer le mariage de formalités nouvelles qui ajoutèrent à sa publicité et à sa solennité et l’insistance avec laquelle il y est revenu révèle la résistance qu’il a rencontrée. Les habitudes favorisées par un entraînement naturel et par une longue tolérance étaient encore très répandues dans le cours et même à la fin de la première moitié du XVIIe siècle. Aux États généraux de 1614 le clergé dénonce la multiplicité des enlèvemens de filles mineures et leur impunité grâce notamment aux évocations obtenues par les coupables. En 1625, en plein Paris et en plein carême, sous le gouvernement plutôt rude de Richelieu, des gens de qualité se divertissent à enlever des jeunes filles dans leurs carrosses. Plus graves encore, au point de vue de l’efficacité de la réforme nous apparaissent les faits suivans. Si, dans le ressort du parlement de Paris, les mariages clandestins étaient invariablement déclarés nuls, il en était autrement dans le ressort du Parlement d’Aix. En Provence, le clergé, les juridictions inférieures, ecclésiastiques et laïques, la Cour suprême se faisaient scrupule de leur refuser la valeur que la tradition canonique leur avait toujours reconnue. Dans l’archidiocèse de Bourges, la jurisprudence, canonique s’était fixée dans