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ébénistes, firent cause commune avec les mezzadri. Cette division s’explique en partie par des raisons politiques. Les bourgeois de Romagne, républicains selon la formule de Mazzini, sont anticollectivistes, et s’opposent de toutes leurs forces aux progrès du parti socialiste ouvrier : ils devaient donc soutenir les métayers dans leur résistance contre les braccianti syndiqués. De fait, les métayers se réclamèrent aussitôt du parti républicain, et intitulèrent la Chambre fondée lors de la rupture : Chambre républicaine du Travail. Mais il n’est pas difficile de retrouver, sous la rivalité politique, l’antagonisme social, plus réel et plus profond. La lutte de partis, en Romagne, dissimulait à peine la lutte de classes : il avait suffi d’une occasion pour que son véritable caractère apparût. Au moment où les mezzadri, las des exigences croissantes de leurs alliés, se séparaient d’eux et se déclaraient prêts à leur résister, les bourgeois républicains, à Ravenne, chassaient les socialistes du Conseil municipal : les uns et les autres obéissaient au même mouvement d’impatience et de révolte contre la tyrannie syndicaliste. Devant la commune menace, bourgeois et métayers redevenaient solidaires. Les uns se rappelaient leur origine : la nouvelle bourgeoisie de Romagne est issue presque tout entière de la classe des mezzadri : entrepreneurs, agens d’affaires, ingénieurs, avocats, sont fils ou petits-fils de métayers que l’agriculture a rapidement enrichis. Les autres sentaient se réveiller en eux l’instinct individualiste, l’amour-propre qui les détourne de se confondre avec les simples ouvriers, l’ambition raisonnable de s’élever à leur tour, par le travail et par l’épargne, à une condition supérieure. Dans l’espace de peu d’années, ils avaient vu l’organisation syndicaliste accaparer les entreprises, monopoliser le travail, entraver la liberté des marchés, étendre même son influence aux affaires publiques : elle leur apparaissait désormais comme la plus dangereuse et la plus insupportable des tyrannies. Et c’est précisément contre elle que se révoltaient ensemble les bourgeois et les paysans. Le conflit économique qui avait éclaté entre mezzadri et braccianti devenait l’occasion d’une bataille générale entre jaunes et rouges, c’est-à-dire entre républicains et socialistes. Ainsi s’explique, dans cette lutte, la violence étrange de quelques épisodes. Dans la petite ville d’Imola, où la Chambre du Travail socialiste était souveraine, les artisans de tous les métiers s’étaient unis aux ouvriers