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pied plus de difficultés qu’on n’en avait prévu. Le gouvernement s’est contenté, comme s’il voulait interroger et tâter l’opinion, de communiquer à la presse, sous forme de notes, les idées générales qui l’inspirent. Si tel a été son but, il tiendra sans doute compte des objections qui lui ont été faites, elles ont été nombreuses.

La grève des cheminots et les incidens qui l’ont accompagnée ont montré, à la fois, l’insuffisance de la législation pénale contre des actes d’un caractère en partie nouveau, comme le sabotage ou l’abandon de leur poste par certains agens, et les inconvéniens que présente cet abandon lorsqu’il se généralise sous forme de grève. De là deux séries de projets : les premiers créent des peines nouvelles ou renforcent les peines existantes contre des actes qui mettent en péril le matériel des chemins de fer ou la sécurité des voyageurs ; les seconds interdisent la grève aux cheminots et leur donnent certaines garanties. Il n’y a qu’un trait original dans la première série de ces projets ; on ne saurait attribuer ce caractère aux peines créées ou renforcées, quelque nécessaires qu’elles soient d’ailleurs ; mais « la provocation ou l’excitation à commettre des actes de sabotage, » qui échappait jusqu’ici à toute pénalité, y sera désormais soumise. Sur ce point, la législation actuelle était muette ; après les actes dont nous avons été les témoins indignés et impuissans, ce mutisme, cette omission ne pouvaient se prolonger. Le gouvernement l’a compris ; il faut lui en savoir gré.

Il nous est malheureusement impossible d’adresser les mêmes éloges à son projet sur la conciliation et sur l’arbitrage. Ce projet est excellent en ce qu’il réalise la promesse de la Déclaration ministérielle d’interdire la grève au personnel des chemins de fer ; l’interdiction est formelle, et il n’y aurait qu’à approuver si elle comportait des sanctions pénales efficaces. Mais celles du projet ne le sont nullement. « Le Conseil des ministres, dit la note communiquée à la presse, n’a pas voulu comme sanction la perte de la retraite ; il a préféré une pénalité. » Quelle pénalité ? On ne nous le dit pas encore : il ne peut s’agir toutefois que d’une amendé ou de la prison. S’il s’agit d’une amende et, s’il est interdit de la prélever sur les fonds de la Caisse des retraites, l’ouvrier ne fera qu’en rire.


Tu peux me faire perdre, ô fortune ennemie,
Mais me faire payer, parbleu, je t’en défie !


dit le Joueur de Regnard : c’est quelque chose d’analogue que diront, ou que penseront les ouvriers. Quant à la prison, l’impossibilité