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prononcé. La déception a été grande, l’embarras n’a pas été moindre. On sait que la proportionnelle compte des partisans dans tous les partis, et que M. Jaurès y voisine avec M. Benoist ; cependant les proportionnantes sont généralement favorables au ministère et désireux de le maintenir ; ce n’est pas sans regrets qu’ils voteraient contre lui et contribueraient à sa chute. Mais nous ne voulons pas croire que les choses en soient là, et qu’il n’y ait pas de conciliation possible entre le gouvernement et la Commission. M. Briand a montré, en maintes circonstances, trop de ressources d’esprit, et la Commission est animée d’un trop sincère désir d’entente pour qu’il faille désespérer que cette entente se produise en effet.

En attendant, il y a dissentiment, et nous essaierons d’expliquer sur quoi il porte ; mais, pour y réussir, il faut renvoyer à plus tard la comparaison de détails entre les divers systèmes qui ont pour but d’introduire dans le scrutin de liste, sur le principe duquel tout le monde est d’accord, la Commission dit la représentation proportionnelle et le gouvernement la représentation des minorités. Ce n’est pas la même chose. Dès l’origine, les proportionnalistes ont été frappés d’une idée de justice peut-être un peu absolue, mais qui n’en était que plus frappante. On aime chez nous les idées simples : nous sommes loin de croire que ce soient toujours les meilleures, mais ce sont les plus accessibles aux masses. L’idée dominante de la réforme a été que le Parlement devait être la représentation exacte du pays ; puisque c’est le pays qui est son propre souverain, il doit exercer sa souveraineté au moyen d’un organe fait à sa parfaite ressemblance, et dans lequel il peut se regarder comme dans un miroir ; majorité et minorité y figureront chacune pour sa part proportionnelle, rien de plus, rien de moins. Tel est le principe ; il est difficile, du moins en théorie, d’en contester la justice ; mais M. Briand en conteste la justesse pratique, la convenance politique et parlementaire et, sur quelques points, son argumentation n’est pas sans valeur. Un gouvernement, dit-il, ne peut pas se passer d’une majorité : ce sont les majorités compactes et solides qui les rendent forts ; or il pourrait arriver, et il arrivera fatalement, une fois ou l’autre, qu’une coalition de minorités dont aucune, réduite à elle seule, ne serait capable de gouverner, mettra en échec la majorité et la frappera elle aussi d’impuissance ; alors l’impuissance sera partout. De pareilles possibilités effraient, et il est sage, après les avoir prévues, de prendre quelques mesures pour en atténuer les conséquences. Il faut renforcer artificiellement la majorité, et lui donner une prime qui ne sera