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encore plus un naturaliste est toujours un peu immoral. » Donc Racine est un peu immoral.

Voilà le système d’interprétation des textes chez M. Masson-Forestier et voilà prouvé que Racine était un tigre.

Ce qui prouve encore quel tigre était Racine ou quel renard, c’est son portrait par de Troy, musée de Langres. Ce portrait (Racine entre trente et trente-cinq ans à mon avis) paraît à M. Masson-Forestier « rongé de passion, tenant du mystique et du possédé, ravagé… dur, cruel, volontaire… » C’est son jugement, ou celui de personnes dont il adopte, admire et chérit le sentiment. Ce portrait a été aux yeux des parens de Racine une « image impure » dont ils n’ont pu supporter la vue. Pour moi, — vous en jugerez par vous-même en regardant la photographie insérée dans le volume, — je vois ainsi : front d’une admirable intelligence, mais paisible, régulière et unie ; yeux d’une beauté merveilleuse, tendres et extrêmement voluptueux ; nez esthétique, voluptueux aussi, très bon aussi ; lèvres spirituelles, un peu pincées, dédaigneuses, d’orateur et d’épigrammatiste ; menton peu volontaire, très doux ; mâchoire normale, plutôt étroite et fine ; physionomie extrêmement pensive, douloureuse et triste.

Et s’il y a, dans cette figure d’un des plus beaux des hommes, quoi que ce soit qui m’indique ou cruauté, ou ruse, ou avarice, ou platitude, je ne sais pas lire un portrait, ce qui, du reste, est parfaitement possible.

Mais M. Masson-Forestier a d’autres moyens pour prouver sa thèse que la race, le milieu, le témoignage des contemporains, l’iconographie et la graphologie. Quels ? Voici. Le principe de la critique des caractères, quand elle s’applique à un auteur, principe tellement certain et de certitude si évidente que M. Masson-Forestier sourit de pitié à l’égard de ceux qui n’y songent point, est que l’auteur se peint lui-même dans les personnages qu’il peint. Vous entendez bien ; rien de plus, mais rien de moins. « Le tragédien est l’apologiste du crime de choix ; il nous montre des êtres vigoureux chez qui bouillonne un instinct formidable, et il lance l’une contre l’autre de belles bêtes ardentes, cabrées, qui s’entr’égorgent. Le héros de la tragédie sera ainsi un apache royal en habit doré, un fauve bien disant. Voilà ce que Racine s’est plu à mettre à la scène, VOILA DONC CE QU’IL AIMAIT. Aimant de tels êtres il fallait, — quand le comprendrons-nous enfin ? —