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théories se cache une hypothèse première ; l’idée qui les domine est celle de la détermination des êtres vivans par les élémens physico-chimiques et leurs lois. La vie, de ce point de vue, n’a rien d’original en elle-même, de posé, d’irréductible. Elle est un effet dérivé et la biochimie affirme qu’elle résulte uniquement du conflit de forces naturelles. M. Fabre est entièrement opposé à ces conceptions, et nul n’a souligné comme lui les difficultés du problème biochimique. Le chapitre sur l’aileron du criquet dénote et communique une forte émotion intellectuelle. Il soumet à l’examen de la loupe un aileron et une languette alaire de larve de criquet mûre pour la transformation. « C’est une ébauche rudimentaire de l’élytre et de l’aile futures. Au grossier va succéder l’excellent en perfection. La membrane attendue s’y trouve ; mais à l’état potentiel, comme le chêne dans son gland. On ne peut voir pousser le brin d’herbe ; on voit très bien pousser l’élytre et l’aile du criquet. Or, si cette poussée a lieu, c’est que « la matière organisable qui s’y configure en lame de gaze a mieux et plus haut qu’un moule : c’est qu’elle a un devis idéal qui impose à chaque atome un emplacement précis. » Et ainsi, « l’aile du criquet nous parle d’un auteur des plans sur lesquels travaille la vie. Supposons préparé, obtenu le protoplasme. Pourrions-nous l’organiser, l’injecter entre deux lamelles impalpables, ne serait-ce que pour obtenir l’aile d’un moucheron ? Le criquet injecte à peu près son protoplasme entre les feuillets de l’aileron, et la matière y devient élytre parce qu’elle y trouve, comme guide, l’archétype qui la régit, par un choix antérieur à la mise en place, antérieur à la matière même. » Cet archétype, l’avons-nous ? Non, alors rejetons notre produit, jamais la vie n’en jaillira.

Mais alors où est, d’après M. Fabre, l’origine des espèces ? S’il ne croit pas à leurs transformations les unes dans les autres, il reconnaît tout au moins qu’elles ont apparu à des époques différentes dans le temps. Quant à leur source, elle est, dit-il, dans l’Intelligence qui régit le monde. « Plus je vois, plus j’observe, et plus cette Intelligence rayonne derrière le mystère des choses, » un Ordre Souverain régente la matière. « L’art des savans paralyseurs leur vient de la Science universelle en qui tout s’agite et tout vit. »

On n’acceptera pas, sans doute, comme antiscientifique pareille attitude. Tout au moins on conviendra, après l’argumentation