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ment. Dès qu’elle est détournée de ses voies, elle ne sait plus appliquer ses hauts talens. Mise sur le dos de la cétoine, en un point qui n’est pas le point d’attaque normal ; extraite de sa position, puis remise sur le ventre, et même dans la blessure ; placée sur une cétoine qui est immobilisée sans être paralysée, l’échec est complet. Elle ne connaît que son seul art spécial de manger.

Ainsi, savoir tout et tout ignorer, suivant qu’il agit dans des conditions normales ou exceptionnelles, telle est l’étrange antithèse que nous présente l’insecte. Devant la moindre difficulté il reste impuissant et il paraît incapable du moindre perfectionnement par expérience. Après ce très petit nombre d’exemples tirés des dix volumes des Souvenirs, on ne sait ce dont il faut le plus s’étonner, de la science de la bête ou de sa stupidité. Que les conditions changent un peu et les savans paralyseurs ne savent plus rien faire. Et on se demande alors avec M. Fabre si les merveilleux chirurgiens ont la moindre prévision concernant l’œuf. « Ils ne savent rien de rien, pas même à quoi serviront leurs opérés. Y a-t-il chez la bête des éclaircies qui combinent et des vouloirs qui poursuivent un but ? Il est permis d’en douter. » Peut-on, dès lors, « songer à un rapprochement, si léger soit-il, entre l’intelligence humaine et le vague intellect de la bête ? »

IV

L’instinct, en tout cas, diffère profondément de l’intelligence, et nous pouvons maintenant en préciser la nature et souligner les caractères qui le distinguent essentiellement, absolument de celle-ci. Donc l’insecte n’a pas la moindre lueur rationnelle quand il est dérouté par les artifices de l’expérimentateur. Si l’enténèbrement succède alors aux splendeurs de l’éclaircie, c’est qu’il est ignorant de sa science.

Le cycle qu’il parcourt se trouve très logiquement fait par un ouvrier dépourvu de toute logique. Sans raisonnement, il agit avec sagesse. L’épeire fait de la haute géométrie, guidée par son inspiration inconsciente. Si elle y songeait, elle ne ferait rien. Par une contradiction caractéristique, à l’instinct rien n’est difficile tant que l’acte ne sort pas de l’immuable cycle qui lui est dévolu. Rien n’est facile dans le cas contraire. Attribut