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Cette lettre, rédigée sous le coup de l’indignation et de l’émotion les plus naturelles et les plus vives, crie la sincérité[1]. Aussi faut-il plaindre M. Gautherot d’avoir écrit au sujet des dernières lignes : « Cette douleur était-elle au fond sincère ? Nous ne savons. » Ceux qui, comme nous, ont vécu ces terribles momens, qui ont entendu M. Thiers à l’Assemblée nationale et l’ont vu à l’œuvre, n’ont pas ce doute. Ils savent que le chef du pouvoir exécutif a fait tout ce qui était en son pouvoir pour apaiser l’insurrection, pour amener une détente, pour sauver la vie de tous ceux qui seraient revenus de leur erreur, pour empêcher l’exécution d’infortunées victimes ; mais ils savent aussi que jamais il n’a voulu entrer en négociation officielle avec l’insurrection ni lui reconnaître les droits des belligérans.

A tous ceux qui venaient lui dire qu’ils espéraient amener les chefs de l’insurrection à se rendre, s’il ne leur faisait pas de conditions trop dures, M. Thiers répondait invariablement : « Venez-vous au nom de la Commune ? Je ne vous reçois pas. Je ne reconnais pas de belligérans. — Non, répondaient-ils, nous venons en notre nom personnel pour prévenir l’effusion du sang. Assurez la vie sauve aux chefs et promettez-nous de ne pas faire entrer l’armée dans Paris. À ces conditions, nous promettons de faire cesser la lutte. — Je n’ai pas de conditions à accepter, ni d’engagemens à prendre. Le règne de la loi sera rétabli à Paris absolument et les coupables, quels qu’ils soient, subiront cette loi. Quant à l’Armée, elle est partout chez elle en France ; elle entrera tout entière dans Paris et plantera le drapeau tricolore là où a flotté le drapeau rouge. Paris sera aussi soumis à la puissance de l’Etat que l’est un hameau de cent habitans[2]. »

Cette déclaration formelle éclaire singulièrement le champ qui nous reste à parcourir.

Le Samedi-Saint, à midi, M. Lagarde arrivait au rendez-vous fixé à la Préfecture de Versailles. M. Thiers, qui sortait du Conseil, suivi des ministres, s’arrêta auprès de lui et lui dit avec une bienveillance attristée : « J’ai le regret, monsieur l’abbé, de vous faire connaître qu’à l’unanimité, mes Conseils ont été d’avis

  1. Elle fut rapportée à Paris à la Préfecture de police par l’abbé Bertaux qui recouvra aussitôt sa liberté.
  2. Notes et Souvenirs de M. Thiers, p. 154, 155. — Paris, 1901.