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je scrute la vie, » dit-il. Cela signifie que l’insecte l’intéresse surtout livré à son œuvre. Si un article de plus ou de moins aux antennes le laisse assez froid, il aime à interroger l’animal, à lui laisser dire ses passions, son genre de vie, ses aptitudes ; et il espère qu’à l’avenir on s’avisera que l’empalé de nos collections a vécu, exerçant un métier.

C’est donc la psychologie de l’insecte qui domine dans son œuvre ; Mais il ne néglige pas absolument la morphologie ni la physiologie. En morphologie, il a découvert le dimorphisme larvaire et l’hypermétamorphose des méloïdes. En physiologie, il a fait de nombreuses études sur les déchets ou sécrétions du tube digestif ; et sur un virus spécial aux insectes, qu’il n’a pas craint d’expérimenter sur son bras au risque de le perdre. Les Souvenirs renferment enfin de nombreuses descriptions d’organes. Mais si l’anatomie est une précieuse auxiliaire, c’est que la description de l’outil permet de comprendre la fonction qui le domine ; et M. Fabre nous montre tout de suite cet outil agissant, afin « d’exciter notre admiration. »

Il conçoit la classification d’après les mêmes principes. À la base il met la fonction et non l’organe ; le régime, les mœurs doivent y avoir le pas sur la forme des palpes. C’est pourquoi il démembre le groupe anthidie en cotonniers et résiniers ; car il juge illogique d’appeler du même nom les pétrisseurs de résine et les cardeurs d’ouate. Et c’est pour la même raison qu’il admet l’étude de l’aranéide à côté de celle de l’insecte proprement dit. Quant à la nomenclature, elle doit être simple et ne pas avoir la sécheresse académique. « Prononcez d’abord articulé ; puis faites ronfler arthropode, et vous verrez si la science ne progresse pas. » Elle ne doit pas s’envelopper d’un vain appareil d’obscurité.

Cependant l’esprit inquiet de M. Fabre est sans cesse hanté par de plus hauts problèmes, qui, indiqués çà et là, font comprendre l’impulsion qui le pousse. Par rapport à eux, l’insecte n’est plus le but ; il devient un moyen. Par-dessus tout M. Fabre veut définir l’instinct ; puis établir expérimentalement la démarcation qui le sépare de l’intelligence, et démontrer si, oui ou non, la raison humaine est une faculté irréductible, ou si elle n’est qu’un degré plus élevé sur une échelle dont la base descend jusque dans les bas-fonds de l’animalité. Plus généralement il pose la question de l’identité ou de la différence de