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L’archevêque, en écrivant ces lignes après une nuit pénible, était de bonne foi. Il croyait que l’élargissement de Blanqui et celui des otages amènerait une détente et permettrait peut-être la cessation de désordres funestes. Benjamin Flotte le lui avait fait entendre. Mais l’archevêque ne savait pas à quels hommes il avait affaire dans ceux qui dirigeaient la Commune ; il ne sondait pas encore la profondeur de leurs sinistres desseins.

Cette lettre fut lue avec la plus sérieuse attention par M. Thiers, qui écouta ensuite les observations de M. Lagarde. Celui-ci insista sur les projets violens de la Commune et il faut dire que le chef du pouvoir exécutif ne crut pas, pour le moment, à toute leur atrocité. Ce n’était pas, comme l’a dit M. Gautherot, avec « une moue dédaigneuse » qu’il entendit ces propos, mais, comme ses ministres, il ne croyait pas que la Commune oserait aller jusqu’aux extrémités où quelques scélérats voulaient la conduire. M. Lagarde insista ensuite sur la négociation dont il était chargé. Il dit qu’elle contribuerait beaucoup à l’apaisement des esprits et empêcherait un grand crime. Il fit observer que l’échange pouvait se faire secrètement et sans éveiller aucun soupçon. Quant au retour de Blanqui à Paris, il n’y voyait aucune force pour l’insurrection, car le vieux conspirateur était malade et sa présence ne pouvait d’ailleurs qu’ajouter aux agitations de la Commune un nouvel élément de discorde.

M. Gautherot reconnaît que M. Thiers écouta ce plaidoyer avec quelque sympathie. « Il répondit qu’en une affaire aussi délicate, il était obligé de conférer avec les ministres et les membres de la Commission des Quinze[1]mais que personnellement, malgré la répugnance qu’il avait à traiter avec des rebelles, il ne serait pas défavorable à l’échange (c’est ce que relate, paraît-il, le mémoire de M. Lagarde), tant il était désireux d’arracher l’archevêque aux mains scélérates de ses geôliers. » Ceci dit, il invita l’abbé à revenir conférer avec lui le lendemain, Vendredi-Saint, à midi. Ces déclarations furent faites en présence de l’abbé Allain, secrétaire de l’archevêché, que M. Lagarde avait

  1. C’étaient MM. le duc d’Audiffret-Pasquier, Cordier, le duc Decazes, Bérenger, Ancel, Ferdinand de Lasteyrie, l’amiral Jaureguiberry, le général Ducrot, Barthélémy Saint-Hilaire, Gauthier de Rumilly, le vice-amiral La Roncière le Noury, Rameau, Vitet, Delille et le général Martin des Pallières. — Je tiens quelques détails particuliers sur cette grave affaire de ce dernier commissaire qui voulait bien m’honorer de son amitié.