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sans cesser de correspondre avec ses partisans qui lui firent obtenir, aux élections du 8 février 1871, 52 389 voix à Paris sur 328 970 votans. Le 17 mars, il fut arrêté par ordre de M. Thiers et mené à Figeac, puis à Cahors.

Au lendemain du 18 mars, il fut élu membre de la Commune par 14 953 voix dans le XVIIIe arrondissement et par 13 859 voix dans le XXe. Mais M. Thiers ne le laissa pas revenir dans la capitale et le fit conduire en Bretagne, au fort du Taureau, à l’entrée de la rade de Morlaix, où il demeura quatre mois au secret absolu, ce qui porta au comble l’exaspération du parti blanquiste, lequel avait compté sur le vieux révolutionnaire pour donner une impulsion et une direction énergiques à la Commune nouvelle. Tel était l’homme qu’on proposait d’échanger contre les cinq otages[1]. Etant donné son passé et ses intentions, il est certain que le retour de Blanqui à Paris, secondé par Delescluze et Félix Pyat, eût été considéré par le parti révolutionnaire comme un triomphe. L’homme qui avait failli renverser le gouvernement de la Défense nationale et qui avait provoqué devant l’ennemi à la guerre civile, se fût hautement targué de la faiblesse du nouveau gouvernement et de l’Assemblée, et la Commune, reconnue comme belligérante, eût émis encore d’autres exigences. Corbon a dit de Blanqui, dont il connaissait la personne et les doctrines, qu’il avait une très grande

  1. Blanqui écrivit dans sa prison un livre très curieux, l’Éternité des Astres, hypothèse astronomique déduite de la double infinité du monde en durée et en étendue. Le 19 novembre 1872, il passa devant le 4e conseil de guerre à Versailles et fut condamné à la déportation pour provocation à l’émeute et au renversement du gouvernement. Sa santé fort délicate lui valut, au lieu de la déportation, son internement à Clairvaux. En 1878, le parti blanquiste voulut créer sur son nom une agitation électorale et présenta sa candidature à Roanne et à Bordeaux. Il fut élu dans cette dernière ville le 20 avril 1879, mais son élection fut invalidée par la Chambre le 3 juin. Amnistié le 10, il sollicita de nouveau les suffrages des Bordelais, mais cette fois il échoua. Apôtre infatigable des revendications populaires, il alla porter le verbe révolutionnaire à Marseille, à Saint-Étienne, à Nice, à Lyon. Là, en 1880, il se présenta de nouveau aux élections, et ne fut pas élu. Le 20 novembre, il fonda le journal Ni Dieu ni Maître, d’après la devise inventée par lui et qui résume tout le programme de la Révolution nouvelle. Il écrivit un dernier livre sur l’Armée esclave et opprimée, présida en décembre 1880 une réunion socialiste où il fit l’apologie du drapeau rouge et quelques jours après, le 1er janvier 1881, succomba à une attaque foudroyante d’apoplexie. Ses obsèques eurent lieu le 5 janvier et le drapeau rouge suivit le cercueil de celui qui, depuis cinquante ans, était l’agitateur inlassable des masses et incarnait en lui le communisme, la haine du prolétariat contre la bourgeoisie et les plus violentes doctrines révolutionnaires. Un bronze émouvant de Dalou représente sur son tombeau le grand agitateur couché dans le linceul du dernier sommeil.