Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’échange de Blanqui eût été consenti, l’archevêque et les otages auraient vraisemblablement été épargnés. « Sans doute, M. Gautherot ne s’associe pas à l’appréciation du Conseil général de l’Internationale siégeant à Londres ; cependant, il la publie en disant qu’elle donne tout de même à réfléchir : « La Commune, a dit le Conseil général, avait, à plusieurs reprises, offert d’échanger l’archevêque et plusieurs prêtres par-dessus le marché, contre Blanqui seul, alors entre les mains de Thiers. Thiers refusa obstinément. Il savait que Blanqui donnerait une tête à la Commune, tandis que l’archevêque servirait mieux ses desseins quand il ne serait qu’un cadavre… Le véritable assassin de l’archevêque de Paris, c’est Thiers. » De son côté, le comte d’Hérisson n’avait pas craint, dans son Nouveau Journal d’un officier d’ordonnance, de faire sienne une aussi odieuse affirmation et il avait même ajouté qu’au bas de la plaque commémorative du massacre des otages sur le mur de la Roquette, il aurait fallu inscrire ces mots : « Adolphe Thiers fecit. »

Cette appréciation inique a été reproduite, ces jours derniers, au lendemain de la publication du livre de M. Gautherot, par divers journaux. Il a été dit que la résolution prise par M. Thiers était la conséquence d’une tactique froidement arrêtée et à laquelle, chez un homme d’Etat tel que lui, aucune sentimentalité ne devait faire obstacle. Il a été dit que M. Thiers avait eu d’abord recours à une sorte d’échappatoire en différant sa réponse à l’archevêque, puis avait feint de recourir à la Commission des Quinze, nommée le 20 mars pour assurer l’action commune de l’Assemblée nationale et du pouvoir exécutif. Il a été dit aussi que M. Thiers s’était réfugié dans le silence en jouant le négociateur et qu’il a eu ainsi un double but : « refuser un chef à l’insurrection et, par le sacrifice inévitable des otages, donner à la répression le plus puissant des ressorts. » M. Henri Rochefort a été à cet égard très péremptoire. « Il est incontestable, a-t-il dit[1], que la Commune a commis une grosse faute en arrêtant l’archevêque. C’était faire le jeu de Thiers qui comptait sur la mort du prisonnier pour tourner tous les modérés contre le gouvernement de l’Hôtel de Ville. On pense si le rusé homme d’Etat a saisi au bond cette balle inespérée. » En examinant de près cette assertion, on voit qu’elle

  1. Cf. La Patrie du 2 octobre 1910.