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configuration du terrain par une exploration personnelle, il le parcourra en automobile et non à cheval. Le jour de l’action, il ne paraîtra pas sur le champ de bataille, car nulle part il n’y aura une position d’où il puisse l’embrasser tout entier, tant il sera étendu. Il s’établira dans un lieu couvert, pas trop à proximité, mais cependant rapidement abordable, d’où il ne sortira pas et suivra sur ses cartes les péripéties d’une lutte se prolongeant quelquefois plusieurs jours, que viendront lui raconter à tout instant les officiers d’ordonnance, télégraphistes, automobilistes, officiers descendus de leurs ballons et de leurs aéroplanes. C’est du choc de ces renseignemens que devront jaillir les inspirations imprévues, nées autrefois du spectacle de la mêlée. Les ordres qu’ils inspireront seront envoyés aux commandans des armées entre lesquels les forces auront été réparties par des directives courtes, très explicites sur le but à atteindre, de plus en plus indéterminées sur les moyens tactiques à employer. Dès lors, le général en chef ne sera plus nécessairement un militaire de profession : il pourra être un ministre de la Guerre civil, comme le furent Louvois et Louis XIV lui-même, et comme vont le devenir Freycinet dans la Défense nationale, Thiers dans la Commune. Il n’y aura plus de militaires de profession que les commandans d’armée, qui devront, selon les règles anciennes, se mêler aux troupes, les animer de leur présence et exercer cette action personnelle, attribut autrefois du général en chef. En 1859, l’ordre nouveau n’avait pas déjà été inauguré ; en juillet 1870, on avait encore à demander au général en chef de se conformer à ce que furent ses grands devanciers.

Pour apprécier combien Napoléon III était loin d’être en ces conditions, accompagnons la princesse Mathilde à Saint-Cloud. Appuyé sur sa canne, l’Empereur se promenait dans le parc. La princesse l’interpelle ex abrupto, avec cette allure à la Molière qui lui était propre : « Vous voulez donc la guerre ? — Et vous ? ne la voulez-vous pas ? — Moi, non. A quoi bon ? Vous venez d’obtenir 7 300 000 voix. N’est-ce pas là un bon oreiller pour dormir en paix ? — Ah ! vous ne savez pas tout. Il y a bien des difficultés ; la guerre serait une heureuse diversion. Et quelle force si nous réussissions ! — Mais si vous ne réussissiez pas ? » Silence de l’Empereur. « Voyons, regardez-vous, est-ce que vous avez l’air d’un guerrier ? — C’est vrai, je suis bien délabré. » Il fit une pause et soupira. « Et puis, je n’ai pas