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vacillantes, un cerveau appesanti, un estomac délabré, avec une maladie organique qui paralyse les fonctions, il ne saurait y avoir ni résolution, ni imperturbabilité, ni activité. Sans doute pendant un jour, une âme guerrière peut rester maîtresse du corps qu’elle anime. Le maréchal de Saxe, atteint d’hydropisie, se tint debout à Fontenoy, parcourant le terrain dans un petit panier d’osier, portant au lieu de cuirasse un justaucorps de taffetas matelassé. À l’Alma, Saint-Arnaud sut commander à la mort de l’attendre jusqu’après la victoire. Mais sans l’intégrité suffisante des facultés physiques, la volonté la plus héroïque est impuissante à supporter les longs efforts, les fatigues incessantes, les péripéties pathétiques, les vicissitudes de crainte et d’espérance, de succès et de revers qui constituent une campagne militaire. « Le général, disait Guillaume du Bellay dans son livre sur la discipline, doit être tempéré, sobre, pénible, subtil, libéral, de bon âge, bien portant. » D’après le maréchal de Saxe[1] : « la première des qualités est la valeur… la seconde l’esprit… la troisième la santé. » Gouvion Saint-Cyr insiste sur la nécessité d’une forte constitution[2]et Napoléon dit : « La santé est indispensable et ne peut être suppléée par rien à la guerre[3]. »


IV

Tant de puissances diverses et tant de génie doivent se combiner pour former le général en chef, qu’on en est presque réduit à le considérer comme un être de raison. Les généraux éminens tels que Condé, Luxembourg, Masséna, Soult, Davout, sont en assez grand nombre ; on peut à peine citer six grands capitaines à peu près complets, trois dans l’antiquité, Alexandre, César, Annibal ; trois dans l’âge moderne, Turenne, Frédéric, Napoléon. Des trois anciens, quel est le premier ? Frédéric penchait pour Annibal, et Napoléon ne paraît pas éloigné de ce sentiment. Néanmoins, on en peut discuter. Il est certain au contraire que Napoléon a été le premier des anciens et des modernes.

  1. Rêveries.
  2. Campagnes du Rhin ; — Rhin et Moselle.
  3. Général Bonaparte au ministre des Relations étrangères, 10 vendémiaire an VI (1er octobre 1197).