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en Italie, sa brigade ne fut pas engagée ; en Syrie, il remplit une mission mal définie qui le laissa en mauvais termes avec son chef, Beaufort d’Hautpoul. Mais il était jeune, actif, jouissait d’une grande réputation d’énergie, était protégé par Fleury, et son avancement ne s’arrêta pas. En 1865, il eut le commandement de la 6e division militaire à Strasbourg, poste d’avant-garde et de confiance. Dans toute sa carrière, il remplit scrupuleusement son devoir, mais il montra un trait de caractère constant : aucun de ses chefs n’échappa à son dénigrement. Il avait le sens de l’autorité plus que celui de la subordination. Dans sa nature violente, toute aux premières impressions, il y avait une mobilité qui le faisait passer d’un sentiment à l’autre sans même qu’il s’aperçût qu’il changeait. La mobilité éteint la générosité chez les natures même les plus généreuses. Ainsi, il avait eu d’abord un dévouement fervent pour Mac Mahon ; impérialiste redevenu légitimiste après 1870, ce qui était le fond même de sa nature, estimant que Mac Mahon servait mal la cause du Comte de Chambord, il ne garda contre lui aucune mesure, et dans plusieurs entretiens que nous eûmes à cette époque, il s’acharna à me démontrer que le maréchal, lui seul, était la cause de nos désastres. A Strasbourg, il ne cessait de souffler la guerre, de la présenter comme inévitable, souhaitable. Il montrait beaucoup de zèle, une attention toujours en éveil, un souci ardent de connaître les hommes et les choses d’Allemagne et nouait des intelligences avec le grand-duc de Hesse. Là comme partout il avait sa politique personnelle, sa stratégie personnelle et, dans des mémoires destinés à être mis sous les yeux de l’Empereur, déclarait n’avoir aucune confiance dans le ministre de la Guerre, qui était alors le maréchal Niel. Les Allemands le représentaient se servant d’un canon en guise de longue-vue pour observer l’autre rive du Rhin. Mécontent qu’on n’obéît pas à son impulsion agressive, il multipliait dans sa correspondance les prédictions pessimistes. Mais quoi qu’il ait pu écrire, il accueillit la déclaration de guerre avec enthousiasme et il disait à Le Bœuf, le seul de ses supérieurs qu’il ait un peu ménagé : « Nous sommes inférieurs en nombre, mais nous avons la qualité, la guerre sera bonne. »

Le commandant en chef de l’artillerie Soleille et l’intendant général Wolff étaient des hommes d’une capacité éprouvée, mais l’un et l’autre parfois un peu légers et également fatigués.