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préoccupé de ne pas l’emmener avec lui, il songea à le placer à la tête de l’expédition projetée dans la Baltique. Il envoya le maréchal lui demander si cette destination lui conviendrait. Le prince répondit affirmativement, à la condition qu’on lui accorderait comme chef d’état-major le général Trochu, un des habitués du Palais-Royal. On y consentit sans observations, et le général, voyant jour à sortir ainsi d’une exclusion humiliante, accepta de son côté sans hésiter.

La marine était un des élémens principaux de l’expédition, et le succès dépendait d’une entente constante entre les troupes de terre et les troupes de mer. Le prince et le général Trochu demandèrent que le prince fût le général en chef de l’expédition, et exerçât un commandement aussi entier sur la flotte que sur le corps de débarquement. Le ministre de la Marine, l’amiral Rigault de Genouilly, repoussa énergiquement cette condition ; il déclara qu’il ne consentirait jamais à exposer une flotte sous les ordres d’une personne étrangère à la marine, et que, si l’Empereur prenait cette décision, il rendrait son portefeuille. D’autre part, le prince Napoléon objecta l’impossibilité d’accepter ; la responsabilité d’une expédition qu’il ne dirigerait pas dans son ensemble : si les mouvemens de la flotte n’étaient pas combinés avec ceux du corps de débarquement, ils échoueraient ; une entente réelle ne serait créée que par l’unité du commandement. L’amiral ripostait par l’expédition de Crimée dans laquelle l’entente de la flotte et de l’armée n’avait pas cessé d’être parfaite, quoique chacune d’elles fût soumise à un chef séparé. Malgré les efforts de l’Empereur pour le ramener à l’avis du prince, il resta intraitable. Alors, à la fin d’un conseil, l’Empereur nous annonça que, le lendemain, il nous appellerait à prononcer sur le différend.

Le Conseil était déjà en séance, et Gramont, qui était favorable au prince, se faisait attendre. L’Empereur alla plusieurs fois regarder avec inquiétude, par la fenêtre qui donnait sur la cour, s’il ne l’apercevait pas. « C’est que, me dit-il d’un air soucieux, si Napoléon renonce à la Baltique, je devrai le prendre avec moi et il critiquera tout. » Gramont arriva enfin, mais malgré le secours que lui, Maurice Richard et moi, donnâmes à l’Empereur, le prince Napoléon n’eut pas gain de cause. Segris et Plichon soutinrent vivement l’amiral. A une voix de majorité, le Conseil approuva leur résistance ; le prince renonça à son