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perte de temps irréparable en revenant, alors que toute minute était précieuse, sur un travail déjà presque achevé. Il ne méconnaissait pas le précepte de Napoléon, mais l’unité indispensable serait maintenue par la suprématie de l’Empereur et facilitée par la division en trois armées, car il serait plus compliqué de donner directement des ordres à huit corps, sans compter la réserve générale d’artillerie, les divisions de cavalerie indépendante, etc. L’Empereur termina la discussion par un de ces doux : je le veux, auxquels il fallait bien se rendre. Le maréchal se soumit ; le travail presque achevé fut abandonné, et l’on en improvisa fiévreusement un nouveau.

L’armée fut ainsi constituée : le maréchal Le Bœuf, major-général ; le général de division Lebrun, 1er aide-major général ; le général Jarras, second aide-major général. Commandant général de l’artillerie : général Soleille ; commandant général du génie : général Coffinières de Nordeck ; intendant général : général Wolff ; 1er corps : maréchal Mac Mahon ; 2e corps : général Frossard ; 3e corps : maréchal Bazaine ; 4e corps : général Ladmirault ; 5e corps : général de Failly ; 6e corps : maréchal Canrobert ; 7e corps : général Félix Douay ; la Garde : général Bourbaki ; 1re division de cavalerie de réserve : général Forton ; réserve générale d’artillerie : général Canu. Toutes ces nominations furent arrêtées sans que le Conseil fût consulté. L’Empereur s’attachait scrupuleusement à tout concentrer entre ses mains et à nous tenir en dehors.

Je n’ai pas été dans une position différente de celle de mes collègues. Étant arrivé à Saint-Cloud un soir en même temps que Le Bœuf, venant parler, moi des affaires politiques, lui des affaires militaires, le maréchal me dit : « Vous pouvez entrer avec moi, vous n’êtes pas de trop. » Mais l’Empereur ne m’adressa pas la même invitation et nous fit prier de n’entrer que l’un après l’autre. J’appris par hasard pour la première fois le nom des principaux commandans de corps d’armée. C’était à Saint-Cloud, on causait après déjeuner, dans le salon, debout, lorsqu’on apporta à l’Empereur un télégramme de Pétersbourg de Fleury qui sollicitait un commandement actif. L’Empereur tendit le télégramme à l’Impératrice qui répondit : « Non, on ne peut pas tout avoir. » Le Bœuf était présent. Il parla du général Frossard. J’avais eu des rapports avec ce général, qui appartenait au département de la Haute-Marne dont j’avais été préfet ;