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suis joliment de cet avis. Mais, sans doute, M. Capus entend que chez ces futurs conquérans la frénésie de plaisir n’avait été qu’une première manifestation d’un besoin d’activité mal dirigé. Il y a chez eux de la ressource. Indisciplinés et fantaisistes, ils ne faisaient que compromettre, en de fâcheuses aventures, cet esprit d’aventure qui, sous sa forme épurée, s’appelle esprit d’initiative. Étienne Ranson est de la famille. Son histoire est le romande l’aventurier qui n’attendait que d’avoir maîtrisé la fortune pour se réconcilier avec la morale.

Lui aussi a disparu depuis une dizaine d’années ; laissant derrière lui une réputation déplorable. Quand son oncle Guéroy, et son cousin Jacques, manufacturiers en Dauphiné, parlent de lui, c’est à la façon dont le bourgeois cossu parie du mauvais sujet, paresseux, hâbleur, pipeur, coureur de filles et, qui pis est, cousu de dettes. Étienne, qui était intelligent, bien doué, et aurait pu réussir comme un autre, a manqué l’École centrale, s’est essayé à toute sorte de métiers et, las de faire des dupes sur le sol natal, est un beau matin parti pour les colonies. Ç’a été pour tout le monde un débarras, et Guéroy, encore qu’il y perdît trente mille francs prêtés à ce vaurien de neveu, a poussé un soupir de soulagement. Mais quoi ! En a-t-on jamais fini avec de tels fléaux ? Et ne doit-on pas trembler à l’idée d’en avoir des nouvelles ? Celles qu’on reçoit de cet Étienne sont effroyables. Il a eu, sur les confins du territoire français, une affaire avec les indigènes : brigandage, massacres. Cette échauffourée sert de prétexte à une interpellation parlementaire. Et on saura que Guéroy est l’oncle de ce neveu fatal au gouvernement ! Ainsi les familles les mieux posées, les plus pénétrées de respect pour les pouvoirs publics, ne sont pas à l’abri du déshonneur.

Sur ces entrefaites, Étienne revient. Vous jugez que l’accueil de l’oncle Guéroy sera dépourvu de cordialité. Et mes trente mille francs ? Les voici, et avec les intérêts encore, en bons billets de banque, dans une enveloppe soigneusement préparée par un débiteur exemplaire. Étienne a fait fortune, non pas par un coup de chance, et les millions ne lui sont pas tombés du ciel ; au contraire, il les a tirés du sol au prix de toutes sortes de peines et de fatigues, avec beaucoup de persévérance s’ajoutant à beaucoup de hardiesse. Au contact des difficultés, à l’école des responsabilités, il est devenu un autre homme ; ou plutôt, l’homme qui sommeillait en lui s’est éveillé et révélé. « Vous vous imaginez qu’on ne peut vivre, hors de France, que dans les tueries ou le pillage. Détrompez-vau6. Quand on a parcouru trois