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ingénuité


Je suis de ceux qui vont, s’attardant et rêvant,
De ceux que l’on croit fous parce qu’ils sont souvent,
Quand l’air léger d’odeurs suaves se vanille,
En extase devant la moindre coronille,
Ou que, devant le cœur azuré des bluets
Ils restent tout un jour attendris et muets.
Je suis de ceux que la champêtre marjolaine
Émerveille, que grise un lys de son haleine,
Dont s’assoupit la peine aux baumes des pavots
Et que trouve une rose à sa grâce dévots.
Or, j’admire quel art minutieux cisèle
Les corolles avec un si louable zèle,
Et quel habile orfèvre, avec profusion,
Nous donne d’un jardin d’émaux l’illusion ;
Et je préfère, au fond d’un site qu’on ignore,
À la fortune vaine, à la gloire sonore,
À tout ce qui s’achève ici-bas en douleur,
La contemplation discrète d’une fleur.



pour la scabieuse obscure


Regarde, le cœur plein d’humilité pieuse,
Dans son sentier désert la fine scabieuse,
Fleur solitaire et dont le pâle demi-deuil
Fuit les amans qui la découvrent d’un coup d’œil.
Sois dévot à sa grâce et tendre à sa faiblesse.
Admire les joyaux discrets que l’aube y laisse,
Tels que des diamans d’améthyste sertis.
Prêche la volupté de souffrir. Convertis
À la douceur de croire, à la fierté de vivre
Ceux qu’en passant le moindre arome vierge enivre.
Prouve enfin que la fleur d’automne et de souci,
La symbolique fleur des veuves garde aussi
Parmi l’encens léger de mille cassolettes,
Un peu d’amour dans ses corolles violettes.