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En 1905, M. Dicey, qui ne peut guère être suspect de jingoïsme, et qui est certainement un des plus pondérés et même un des plus circonspects dans l’affirmation parmi les hommes, affirme nettement le devoir qu’a un grand peuple d’être plus grand et de s’adjoindre pour son bien et pour le leur des peuples qui ne veulent pas de lui. Où était, dit-il, le droit dans la guerre des Anglais contre les Boers ? Du côté de l’Angleterre, exactement comme il était du côté du Nord contre le Sud dans la guerre de sécession américaine. « Il est aussi certain que la guerre dans l’Afrique du Sud a été faite par l’Angleterre pour maintenir l’unité de l’Empire britannique qu’il est certain que la guerre contre les Etats du Sud fut faite par les États du Nord pour maintenir l’unité des Etats-Unis. Ni le peuple britannique, ni les citoyens des Etats du Nord n’étaient disposés à reconnaître le droit de sécession. La résolution du peuple anglais de s’opposer au démembrement de l’Empire me semble pleinement défendable sur le terrain du bon sens et de la justice. »

Pourquoi, car cela semble un peu paradoxal ? Parce que « le maintien de l’Empire britannique rend possible, à des frais relativement peu élevés, si on les compare avec le nombre total des sujets anglais, d’assurer la paix, le bon ordre et la liberté personnelle dans une grande partie du monde. De plus, à une époque d’États militaires énormes, il est de la plus haute importance de protéger contre les agressions étrangères une des deux plus grandes républiques libres qui existent. »

Ainsi, moi grande nation, je conquiers un peuple qui n’est ni de ma race, ni de ma langue, et n’a jamais été mêlé à mon histoire, et qui ne m’aime pas, mais qui est moins fort que moi. Je le conquiers. Dès qu’il est conquis, il est coupable de sécession, s’il se révolte ; car il fait partie du moi, et il est anti-patriote, il commet le crime de lèse-patrie, s’il veut être indépendant. C’est ainsi que raisonnent « le bon sens et la justice. »

Remarquez qu’il a intérêt à faire partie de moi ; car je puis le défendre contre des envahisseurs. S’il allait me répondre que je suis envahisseur moi-même et que par conséquent il ne voit pas ce qu’il gagne à être envahi par moi plutôt que par un autre, je lui répondrais que cela n’a pas le sens commun.

Remarquez de plus que je l’administre à moindres frais qu’il ne s’administrerait lui-même, ce qui est une grande économie. S’il me répondait qu’il aime mieux être mal administré et