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ne pas intervenir, tant le moindre heurt dans le fonctionnement de cette machine-ci aurait des retentissemens sur la société tout entière. Un voiturier de 1815 n’a rien à démêler avec l’Etat. Une compagnie de chemin de fer, avant de travailler, rien que pour construire son chemin, a besoin d’une intervention de l’Etat non seulement considérable, mais oppressive, puisque, pour qu’elle ouvre son chemin, il faut que l’Etat exproprie des milliers de propriétaires ; et en retour, n’est-il pas naturel que l’Etat intervienne dans toutes les affaires de cette compagnie ? Fort bien ; mais ainsi toute la nation s’habitue à voir l’État partout et s’habitue à ne pas supposer qu’il puisse y avoir endroit où il ne soit point.

Songez encore à ceci : les suggestions de l’impérialisme. L’impérialisme est chez un peuple l’idée ou le sentiment qu’il n’est jamais assez grand pour sa gloire, pour son honneur, pour sa dignité, pour le rôle qu’il joue dans le monde et aussi pour le bonheur des peuples qu’il a conquis, qu’il conquiert ou qu’il conquerra ; et que, par conséquent, la toujours plus vaste domination est une beauté, d’abord, un idéal, un standart ; mais aussi un vrai devoir moral.

Comme le grand magasin, d’abord est une belle chose, ensuite est un bien parce qu’il produit à meilleur marché, de même le grand empire protégeant à moindres frais que vingt gouvernemens le même nombre d’hommes est un devoir d’humanité. « L’ère des petits États est passée. » C’était un reste de barbarie. « Les grands empires sont une nécessité de nos jours autant que les énormes Sociétés commerciales. »

Or le benthamisme ne comprenait pas du tout cela. Comparez le langage de Cobden, en 1850, à… mon Dieu au langage de M. Dicey lui-même en 1905. Cobden disait : « Si l’on pouvait convaincre les classes commerçantes et industrielles de cette nation… que, en même temps que nos dépendances sont une dépense pour eux, en impôts directs, de plus de cinq millions de livres par an ; elles ne servent que d’accessoires magnifiques et pesans pour étaler ostensiblement notre grandeur et qu’en réalité elles compliquent et augmentent nos dépenses gouvernementales sans améliorer notre balance de commerce, — à coup sûr cela deviendrait au moins une question à étudier avec soin, pour un peuple si accablé de dettes, de savoir s’il ne devrait pas être permis à ces colonies de s’entretenir et de se défendre elles-mêmes en tant qu’existences séparées et indépendantes… »