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donc, — céder peu à peu à la poussée du plébéianisme pour qui le benthamisme est un leurre.

Ou plutôt pour qui le benthamisme est une négation. Le benthamisme ne gêne pas, ne réprime pas, ne comprime pas, n’opprime pas ; mérites négatifs qui ont peut-être leur valeur ; mais qu’est-ce qu’il donne, qu’est-ce qu’il assure, qu’est ce qu’il fait pour ? Rien. Il ne fait que la voie libre. Cela permet de marcher, ne donne pas des forces pour marcher. Le benthamisme doit céder à la poussée du plébéianisme prenant conscience de soi.

Autres causes secondaires, très importantes encore, de sa désagrégation relative. Le benthamisme a été une foi, à une époque où une foi politique, réunissant, reliant, religionnant un très grand nombre d’esprits et de cœurs, était possible ; maintenant, c’est moins possible. Le benthamisme, à cet égard, avait en soi et nourrissait en soi, comme il arrive souvent, un des élémens de sa ruine. Exactement comme le protestantisme, parce qu’il se réclame du libre examen, porte en lui un principe de liberté de critique qui doit avec le temps s’appliquera lui et le dissoudre ; tout de même, le benthamisme, portant en lui le principe de l’individualisme, favorise la désagrégation des croyances générales, la dissémination et pulvérisation des credos, et une de ces croyances, un de ces credos, c’était lui-même. Il a subi l’action désagrégatrice, sinon dissolvante, de la critique, et comme toutes les grandes doctrines, peu à peu, depuis 1850 environ jusqu’à 1865 ou 1870, il est devenu plusieurs, ce qui n’a peut-être pas diminué son contingent, mais ce qui, assurément, a diminué sa force.

Songez encore à ces deux forces qui, très différentes et très éloignées l’une de l’autre, pèsent, en quelque sorte, chacune de leur côté. Ces deux forces sont la sensibilité et le sens historique. La sensibilité, l’apothéose du sentiment, comme dit M. Dicey, n’est évidemment pas, en soi, ennemie du benthamisme, ni le benthamisme n’est pas en soi ennemi de la sentimentalité, et l’on a vu combien le sentiment religieux avait fait bonne figure au benthamisme et avait fait alliance avec lui : les évangélistes de l’école de Wilberforce avaient, aux beaux temps du benthamisme, prêté un très grand appui, sinon à toutes ses doctrines du moins à son esprit général. Cependant, et nous avons pris soin de l’indiquer déjà, si le benthamisme, par son