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Là où Alecsandri est vraiment original, parce qu’il marche sur un terrain sûr et dans lequel il a su s’ouvrir une voie personnelle, parce qu’il parle de choses qu’il connaît à fond et nous montre des personnages qui lui sont familiers, c’est dans une suite de comédies et de saynètes, d’une observation très juste, d’une ironie aussi fine que mordante, et où il met en scène, avec ce sens du comique qu’il possédait à un si haut degré, — car ce poète charmant et délicat avait, lorsqu’il voulait faire rire, un peu de la fantaisie de Labiche et d’Henry Monnier, — quelques-uns des types de la société moldave d’il y a soixante ans : la matrone de province qui, pour se conformer aux lois du bon ton, entreprend, avec toute une smalah d’enfans et de domestiques, des voyages à l’étranger, arrive jusqu’à Paris et y est victime d’une série de mésaventures plaisantes dont le récit ou la mise en scène ont fait, comme le Chapeau de paille d’Italie et la Cagnotte, la joie de plusieurs générations ; — le vieux « laoutar, » drapé dans une robe aux larges plis, le chef recouvert du fez oriental, l’indispensable « laoutar » sans lequel il n’y avait pas jadis de vraie fête, qui chantait aux baptêmes, aux fiançailles, aux noces, aux banquets des boyards, et que les progrès de la civilisation devaient bientôt reléguer au rang îles vieilles épaves et des vieux souvenirs ; — le petit fonctionnaire, victime des changemens, des caprices et des rancunes politiques de l’administration ; — le colporteur juif et le fermier grec, grands exploiteurs de la crédulité et de la bourse du paysan. C’est surtout aux dépens de cette dernière classe d’individus, étrangers à tout sentiment national, véritables ennemis du peuple roumain, et qu’Alecsandri avait coutume d’appeler des sangsues. (il a même intitulé l’une de ses comédies les plus applaudies : Les sangsues des villages), que s’est exercée avec succès sa verve satirique, merveilleusement mise en relief par son principal interprète, l’excellent comédien Millo.

Si le théâtre d’Alecsandri n’est pas exempt de quelques faiblesses, surtout en ce qui concerne la conception et la conduite de ses drames, il n’en va pas de même de celles de ses poésies qui lui ont été inspirées par l’ardent amour qu’il avait voué à sa patrie. L’auteur des Doïnas fut en effet un grand patriote, et son patriotisme sincère, profond, désintéressé, n’est pas son moindre titre à l’admiration et à la reconnaissance de ses compatriotes. Alecsandri a toujours eu foi dans l’avenir de son pays,