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L’exode de la jeunesse roumaine en France date des premières années du XIXe siècle, et les circonstances dans lesquelles il commença à se produire intéressent trop l’histoire des rapports intellectuels entre les deux pays pour qu’elles ne nous arrêtent pas un instant.

On sait que, pendant tout le XVIIIe siècle, les Principautés de Valachie et de Moldavie furent gouvernées par des princes, — ou hospodars, — que la puissance suzeraine choisissait parmi les Grecs du Phanar, et Ton a constaté plus d’une fois que l’un des principaux effets de la domination phanariote en Roumanie avait été une vive impulsion des esprits vers la civilisation française. Ces princes, — presque tous anciens interprètes ou drogmans de la Porte, — étaient tenus de bien posséder le français, dont la connaissance leur était devenue indispensable depuis que, dans les relations diplomatiques, son usage avait remplacé celui du latin, et, une fois investis de l’hospodarat, ils attachaient à leur personne des secrétaires et des rédacteurs français, ou d’origine française, qui les accompagnaient au siège de leur gouvernement. Il était aussi de tradition que l’ambassade de France à Constantinople désignât l’un de ses membres pour remplir auprès des hospodars les fonctions quasi officielles de secrétaire en titre, avec la mission de communiquer directement à l’ambassade les principales nouvelles d’Europe, parvenues à Iassi et à Bucarest, par la voie du Nord ou de l’Occident. C’étaient comme autant de foyers de culture intellectuelle française qui se formaient ainsi autour du prince et de sa Cour, et qui projetaient leurs rayons sur toute la haute société roumaine. Aussi les boyards, auxquels, en l’absence d’une littérature nationale à peine naissante à cette époque, on n’enseignait guère que le grec, délaissèrent-ils rapidement l’étude de cette langue pour s’initier et faire initier leurs enfans à la connaissance du français.

La présence en Roumanie, au moment de la Révolution française, d’un certain nombre d’émigrés, qui y étaient venus gagner leur vie soit comme secrétaires des princes phanariotes, soit comme précepteurs des jeunes boyards indigènes (l’un de ces émigrés, qui se disait marquis de Beaupoil de Sainte-Aulaire, devint même ministre des Affaires étrangères du prince Ypsilanti), — la création d’un corps consulaire étranger en Valachie et en Moldavie, — enfin le contact de plus en plus