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distinctives de son génie, c’est évoquer, en même temps, une grande partie de l’histoire roumaine pendant la seconde moitié du XIXe siècle, car il est peu d’événemens de cette histoire auxquels son nom n’ait été mêlé, et dont il n’eût pu dire lui-même, avec assurance, et non sans quelque fierté :


Et quorum pars mayna fui.


I

Basile Alecsandri est né à Bacau, en 1821, au plus fort du mouvement insurrectionnel provoqué par le soulèvement d’Alexandre Ypsilanti en faveur des Grecs. Peu de mois auparavant, le chef de l’Hétairie avait en effet franchi le Pruth à la tête de ses partisans. Son entrée en Moldavie avait été le signal de graves complications : massacres à Galatz, fuite précipitée du prince Michel Soutzo, envoi par la Porte d’un corps d’armée turque en Valachie. Au milieu de l’affolement général, les boyards roumains, tremblant pour leurs biens et pour leur vie, s’étaient empressés, comme toujours en pareille circonstance, de chercher un refuge dans les contrées avoisinantes, en Bukovine, en Bessarabie ; d’autres avaient gagné le fond des forêts de la haute Moldavie. Les parens d’Alecsandri s’étaient retirés à Bacau, non loin des montagnes ; c’est là que le poète vint au monde, se trouvant ainsi exposé, dès sa plus tendre enfance, à toutes les surprises de cette vie errante que, depuis les premières invasions des Tartares, avaient été contraintes de mener tant de générations de Roumains.

La famille d’Alecsandri était très vraisemblablement originaire d’Italie. Alors que les républiques de Venise et de Gênes se disputaient la prépondérance en Orient, un grand nombre d’Italiens avaient abandonné leur pays pour aller s’établir à Constantinople, où les Génois étaient maîtres, par la mer Caspienne, de presque tout le commerce avec les Indes, et où les Vénitiens possédaient d’importans comptoirs financiers. Plusieurs de ces Italiens étaient passés de Turquie en Valachie et en Moldavie, — la plupart à la suite des princes phanariotes ; — ils s’y étaient fixés, y avaient épousé des femmes indigènes et fait souche de bons Roumains. Tels furent les Couza, les Cozadini, les Negri, les Rolla. Alecsandri, dont la mère aussi était d’origine italienne,