auprès de Frédéric que de pouvoir écrire ses Mémoires, — un autre pamphlet, mais combien supérieur à la Diatribe du docteur Akakia ! — ce serait déjà quelque chose. Voltaire n’a rien laissé de plus vif ni de plus mordant, et, de tous ses « ennemis, » le roi de Prusse l’a le mieux inspiré. Car, en général, avec tout son esprit, c’est à trop peu de frais qu’il maltraite les autres, et par exemple, dans ses « Fréronnades » comme dans la Diatribe, la grossièreté, l’injure et l’outrage ont plus de place que la bonne plaisanterie. Rien de plus froid que l’Écossaise, rien de plus odieux que les Anecdotes sur Fréron, rien de moins spirituel, il faut bien le dire, que les Lettres sur la Nouvelle Héloïse. La polémique de Voltaire contre les personnes se réduit à leur imputer les intentions les plus basses et à les qualifier des adjectifs les plus insultans : quiconque pense de lui moins de bien que lui-même, et le dit, est un « cuistre, » est un « fripon, » est un « galérien, » et il l’imprime en toutes lettres. Voilà, en vérité, de bien délicates et de bien agréables railleries ! Mais dans ses Mémoires, pour nous tracer une inimitable esquisse de son royal ami, de la cour de Prusse au XVIIIe siècle, de leurs coquetteries et de leurs brouilleries, il s’est souvenu qu’il était « du monde, » et nous ne répondons pas qu’il n’y ait point calomnié son modèle, mais il l’a fait galamment, plaisamment et d’autant plus habilement.
Ne serait-ce pas peut-être qu’au fond il a toujours aimé Frédéric, en dépit de leurs querelles ? qu’il s’est toujours senti pour lui « douceur de cœur ? » et qu’il lui est enfin demeuré reconnaissant des services qu’il se rendait bien compte lui-même qu’il devait à cette royale intimité ? On en indiquera de très grands tout à l’heure, dont nous pourrions bien avoir nous-mêmes profité. Mais, déjà en quittant Berlin, Voltaire savait ce qu’il devait à Frédéric d’accroissement de réputation, d’importance et de gloire. Ce qu’il était venu chercher auprès du vainqueur de Molwitz et de Freyberg, du conquérant de la Silésie, du roi bel esprit et philosophe, du seul prince enfin de l’Europe d’alors qui fût un juge du mérite, il l’y avait effectivement trouvé : la consécration de supériorité qu’on lui refusait dans sa propre patrie. Que dans les rapports qu’ils avaient eus, l’amour-propre du poète eût supporté plus d’une fois de dures, d’insolentes et de féroces rebuffades, cela n’empêchait point qu’en gros, et à distance, pour les Parisiens, pour l’Académie, pour la