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irrité des grands airs qu’affectait ce géomètre, il avait commencé de le harceler d’épigrammes, auxquelles l’autre ne répondait qu’en redoublant de hauteur et de morgue. Les choses tournèrent tout à fait à l’aigre, quand Maupertuis, pour donner à l’auteur du Siècle de Louis XIV une preuve non douteuse de son mauvais vouloir, se fut avisé de prendre contre lui le parti de La Beaumelle. C’est alors, en effet, qu’une dispute s’étant élevée, dispute scientifique, où un poète n’avait que faire, entre Maupertuis et Kœnig, autre ancien ami de Voltaire, autre professeur de Mme du Châtelet, autre académicien de Berlin, Voltaire s’empressa de prendre à son tour en main la cause de Kœnig et de publier, pour la plaider, dans la Bibliothèque raisonnée, — c’était un des nombreux journaux littéraires qui se faisaient alors en Hollande, — un article violent et injurieux contre Maupertuis.

Indifférence ou dédain, Maupertuis ne répondit pas ; étant malade, il fit le mort ; et l’affaire en fût demeurée là, si le roi ne s’était senti plus blessé que le président lui-même de son Académie de cette façon de le traiter. Les autocrates n’aiment point que l’on ridiculise les personnes constituées en dignité. Mais au lieu de réprimander Voltaire, Frédéric écrivit une brochure, beaucoup plus longue que l’article de la Bibliothèque raisonnée, et plus injurieuse aussi, où les mots de « mensonge, » de « grossièreté, » de « scélératesse » étaient les plus doux qu’il eût trouvés pour qualifier la conduite et les procédés « infâmes » de son chambellan. Il va sans dire que cette guerre discourtoise se faisait sous le masque. Mais c’était en de pareilles occasions qu’avec toute sa malice, éclatait toute l’obstination des rancunes de Voltaire, et, si l’on considère son naturel peureux, tout son courage aussi. Bien loin de reculer, il se piquait, s’animait à la lutte, et quand il avait énuméré à Mme Denis ou aux d’Argental toutes les bonnes raisons qu’il avait d’être prudent, il passait outre. Il répondit donc à la brochure du roi par une autre brochure, la fameuse Diatribe du docteur Akakia, l’un de ses pamphlets les plus vantés, quoique d’ailleurs la bizarrerie des idées de Maupertuis lui-même en fasse tout le sel ; et comme il pensait bien que le roi ne lui permettrait pas de le faire imprimer, il soutira, c’est le seul mot qui convienne, l’autorisation nécessaire, en la sollicitant pour une autre brochure dont les feuilles furent habilement mêlées à celles de la Diatribe. La Diatribe