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courtisans de la dangereuse marquise de Prie ; la duchesse de Châteauroux, nous le rappelions tout à l’heure, l’avait pris hautement sous sa protection ; et, à la vérité, elle venait de mourir ; mais cette mort même allait avancer encore les affaires de l’heureux homme. Il y a dans la vie des passes où tout nous rit, tout nous aide et tout nous succède, et Voltaire, en ce moment, en traversait une.

Tandis qu’en effet on intriguait dans les appartemens pour mettre en la place de Mme de Châteauroux quelque autre grande dame, Louis XV, en voluptueux naïf et pressé qu’il était, se laissait prendre aux provocations hardies d’une jeune femme, celle qui fut depuis Mme de Pompadour, que l’on appelait alors Mme Lenormant d’Etioles, et, de son nom de jeune fille, Antoinette Poisson. Or, le mari, M. d’Etioles, neveu du fermier général Lenormant de Tournehem ; le père, François Poisson, créature des Paris, qui avait tripoté comme eux, pour eux ou avec eux dans les fournitures militaires, — c’était une source inépuisable d’enrichissement que les fournitures militaires sous l’ancien régime, — la mère aussi, la jeune femme, Voltaire connaissait de longtemps tout ce monde, et assez familièrement pour avoir été l’un des premiers informé du nouveau choix du maître. On dispute même sur le point de savoir si ce fut lui qui « tint la plume, » comme on disait alors, entre le roi et Mme d’Étioles, ou si c’était le futur cardinal de Bernis. Mais en associant le premier dans ses vers le nom de la favorite au nom glorieux de Fontenoy, mais en s’intéressant, comme il disait, « à son bonheur » et en y intéressant tous ses amis de cour, mais en achevant enfin l’éducation mondaine et politique de la première maîtresse qu’un roi de France eût choisie dans le Tiers-État, Voltaire lui rendit tant de services qu’après avoir été des partis d’Étioles et de Brunoi, il méritait bien d’être aussi du bagage que la « divine marquise » allait introduire avec elle à Versailles. Et c’est ainsi qu’au mois d’avril 1746, non seulement avec l’agrément, mais sur l’ordre du roi, qui « fit écrire » à cette occasion, Voltaire était élu de l’Académie française, que l’on augmentait bientôt sa pension et qu’au mois de décembre de la même année, il recevait le brevet déjà promis de gentilhomme ordinaire de la chambre. On trouvera dans la péroraison de son Discours de réception le témoignage éloquent de sa reconnaissance, dont quelques-uns de ses biographes sont encore confus pour lui.