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rien, mais Voltaire ne s’en fâchait pas. C’est que Thiériot fréquentait les cafés littéraires, c’est qu’il entretenait les communications de Voltaire avec la bohème littéraire du temps, c’est enfin, qu’à mesure que le poète se séparait ou s’éloignait de la « canaille des beaux esprits, » ses confrères, Thiériot continuait de le représenter parmi eux. Il ne se fâchait point davantage quand, à quelqu’une de ses spirituelles et amusantes flatteries, son héros et son débiteur, le duc de Richelieu, répondait par quelque impertinence ou quelque grossièreté : c’est d’abord que Richelieu n’en usait point avec tout le monde aussi familièrement, c’est qu’il avait l’oreille du prince, et c’est enfin que, si les ambitions de Voltaire devaient quelque jour aboutir, Richelieu en était l’intermédiaire désigné par avance. De Paris à Versailles, entre Thiériot et Richelieu, du café Procope jusque dans les petits appartemens de Louis XV, à tous les étages où à tous les degrés de la société de son temps, Voltaire avait ainsi quelqu’un qui le suivait ou qui l’aidait, dont il avait su lier les intérêts aux siens et confondre la cause avec celle de sa fortune, de son succès ou de sa gloire. Celui-ci composait donc, pour la première d’Alzire ou de Mérope, le parterre de la Comédie ; celui-là, Ximenès ou La Morlière, mettait complaisamment son nom aux ouvrages que le maître ne voulait pas avouer ; un autre lui communiquait les arrêts du conseil, avec lesquels il se faisait des rentes ; un autre encore l’indiquait ou l’imposait aux « bienfaits du roi, » et tous ensemble, ils travaillaient à lui préparer cette singulière et prodigieuse fortune à laquelle n’auraient pu suffire ni son esprit sans son argent, ni son talent sans ses relations, ni son génie lui-même sans sa science et son art de l’intrigue.

Mais c’était surtout des femmes qu’il excellait à savoir se servir, de toutes les femmes, — et notamment des favorites, car je ne dis rien des grandes dames : la célébrité les attire, et les moyens qu’elles ont [leur permettent] de s’en passer la curiosité. Je ne dis rien des comédiennes : jamais une Gaussin ne s’est acquittée complètement envers l’auteur de Zaïre, une Clairon envers celui de Tancrède ou de Sémiramis. Mais, bien jeune encore, toutes les maîtresses du Régent, l’une après l’autre, la piquante Mme d’Averne ou la superbe Parabère l’avaient vu tourner autour d’elles et s’empresser à leur plaire. Du temps de « Monsieur le Duc, » on l’avait connu parmi les plus assidus