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pas l’ambassadeur, marquis de Valori, qui, de son côté, devançant les instructions du ministre, écrivait à « l’ami déclaré du roi, » comme il l’appelle dans sa correspondance officielle, « de la manière la plus pressante, » pour lui offrir un appartement dans l’hôtel même de l’ambassade, et qui ne craignait pas, lui, le représentant de Sa Majesté Très Chrétienne, de se faire un titre auprès de Frédéric du bon témoignage et de la recommandation de Voltaire ? Si donc Voltaire, à son tour, ne conçut pas pour lui-même une moindre estime ou de moindres espérances qu’Amelot ou Valori, nous ne saurions nous en étonner, ni trouver sa présomption tellement impertinente ou sa vanité si naïve. Rien de plus naturel au contraire qu’il crût faire merveille, après l’entrevue de Clèves, de proposer des services dont il savait que l’on attendait l’offre. L’empereur d’Allemagne venait de mourir, laissant sa fille, Marie-Thérèse, et son gendre, François de Lorraine, aux prises avec les plus grands embarras. L’Europe, à peine remise de la guerre de la succession de Pologne, était attentive et inquiète. On sentait ou l’on soupçonnait que le nouveau roi de Prusse n’était pas homme à laisser se rouiller dans le repos des casernes la formidable armée qu’il avait héritée de son père, — ni ses écus sommeiller dans leurs coffres, pourvu qu’il en tirât un honnête intérêt. Déjà même, la seule question que l’on se posât était celle de savoir contre qui Frédéric allait faire le premier essai de ses forces. À ce jeune homme de vingt-cinq ans dont personne encore ne connaissait l’extraordinaire ambition, l’énergie de volonté, la profondeur de dissimulation, Voltaire se flatta qu’il pourrait arracher son secret ; et il faut bien dire qu’à la cour de France, après le ministre et l’ambassadeur, le ministre des Affaires, le cardinal Fleury, s’en flatta et le crut comme lui. Deux lettres du cardinal accréditèrent donc ce poète auprès de Frédéric, en qualité, si l’on peut ainsi dire, de plénipotentiaire ou d’ambassadeur bénévole, sans caractère proprement officiel. Et lui, laissant là de nouveau Mme du Châtelet, il partit pour Berlin où Frédéric le recevait moins encore en ami qu’en maîtresse longtemps et impatiemment attendue.

Il est vrai que ce fut tout, et pour le reste ses tentatives échouèrent assez piteusement contre l’ironique discrétion de son hôte. Les lettres de Fleury qu’il montra, contenaient beaucoup de complimens, mais pas assez d’engagemens, ni de propositions