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anti-sociale de tous les travailleurs. Pleins de confiance dans la sagesse tant de fois attestée des travailleurs, les pouvoirs publics n’ont envisagé que les bienfaits certains d’une liberté nouvelle qui doit bientôt initier l’intelligence des plus humbles à la conception des plus grands problèmes économiques et sociaux. » Ce sont là de fort belles phrases ; mais, sans contester aucunement la sagesse de la généralité des travailleurs et tout en lui rendant hommage, il eût été bon de se demander s’ils ne pourraient pas devenir la proie d’un certain nombre d’agitateurs hardis, ayant constitué des groupemens révolutionnaires énergiques et pratiquant, d’ailleurs, ouvertement le mépris des majorités. Quant à la « Fédération antisociale des travailleurs, » chacun sait qu’elle n’a pas tardé à se constituer : la célèbre « Confédération générale du Travail » date, en effet, de 1895, c’est-à-dire qu’elle n’est que de onze ans postérieure à la loi de 1884 ; ce peu de temps a suffi à son incubation et un temps égal à l’établissement de sa prépotence.

Quelques-uns défendent M. Waldeck-Rousseau du reproche d’imprévoyance en lui attribuant des desseins machiavéliques. Il aurait voulu se servir des syndicats ouvriers, les domestiquer et, suivant l’expression de M. Georges Sorel, « organiser parmi les ouvriers une hiérarchie placée sous la direction de la police[1]. » Dans sa circulaire du 25 août 1884 aux préfets, M. Waldeck-Rousseau, tout en reconnaissant que l’administration ne tient de la loi du 21 mars aucun rôle obligatoire dans la poursuite de la grande œuvre qu’il vient de décrire en termes émus, déclare qu’il n’est pas admissible qu’elle y demeure indifférente et il le dit en termes exprès : « Ainsi ce que j’attends de vous, monsieur le Préfet, c’est un concours actif à l’organisation des associations professionnelles. »

Avec beaucoup d’ingratitude, les syndicats se passèrent, en général, du concours, des conseils et de l’aide des préfets. Peu de temps après naquit, avec la faveur et les subsides des pouvoirs publics, un organisme appelé à tenir un grand rôle dans les secousses qu’éprouve depuis quelque temps le monde du travail. C’est en novembre 1886, deux ans et demi après le vote de la loi sur les syndicats, que M. Mesureur, alors conseiller municipal, postérieurement député et aujourd’hui

  1. Voyez Georges Sorel, Réflexions sur la violence, pages 185 et 186.