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établissaient auprès de chaque corps d’armée un service spécial pour leur dépouillement. Le major Krause était arrivé par cette voie à établir un ordre de bataille (24 juillet) qui fut reconnu dans la suite si complètement exact qu’il n’exigea plus que quelques rectifications de peu d’importance. Un officier distingué de Garibaldi a écrit dans la Gazzetta del Popolo de Turin « qu’il attribuait la plus grande partie de nos échecs à l’indiscrétion de notre presse. » — « Vos journaux, a dit un général prussien à un de nos écrivains, nous ont autant servis que deux corps d’armée. »

L’avertissement qui résultait du vote du projet de loi sur les nouvelles militaires avait été vain. Je ne balançai pas à prendre l’arrêté interdisant « de rendre compte, par un moyen de publication quelconque, des mouvemens de troupes et des opérations militaires sur terre et sur mer. » (22 juillet.) Bien souvent, avant et depuis que j’ai pris la responsabilité principale de cette mesure contre l’indiscrétion de la presse, j’ai été vilipendé et conspué : jamais je ne le fus aussi furieusement, aussi universellement ; tout ce que j’avais pu faire ou dire jusque-là de déplaisant aux ennemis de l’Empire, parut peccadille : soupçonner un journaliste français, cet idéal du patriotisme et de la discrétion, de rendre à l’ennemi, même malgré lui et inconsciemment, les services d’un espion, c’était un acte abominable pour lequel il n’y avait pas d’expiation assez sévère. Le peu d’honneur et de talent qu’on m’avait laissé me fut enlevé du coup : je ne fus plus qu’un coquin idiot. Un de mes fidèles amis de tous les temps, le remarquable historien Ernest Daudet, dont les avis étaient d’autant mieux accueillis qu’ils étaient désintéressés, annonça la bourrasque : « Je ne serais pas votre ami, si je ne vous disais quel effet déplorable a produit Votre arrêté. Je n’entends qu’un cri, et ceux qui vous sont le plus dévoués disent que cet arrêté produira les effets contraires à ceux que vous attendez… pour votre popularité je regrette la mesure que vous avez prise et mon amitié s’en alarme. » (25 juillet.)

Il m’était, du reste, impossible de ne pas entendre la bourrasque. La Libérté, journal qui m’avait soutenu, et qui, même après notre rupture, n’avait jamais manqué aux convenances amicales, après avoir imprimé mon nom au bas de l’arrêté en caractères majuscules, ajoutait : « Avoir revendiqué le triste