Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/509

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus tard, le 15 juillet, j’étais dans la cour du Corps législatif, sur le quai d’Orsay, mais je donnai les instructions les plus précises pour qu’on appliquât sans mollesse les répressions autorisées par la loi commune. Je télégraphiai aux procureurs généraux : « On me signale un redoublement de violence dans la presse démagogique. Déployez la plus grande énergie pour que ce scandale ait une fin prompte. Poursuivez et requérez des condamnations très sévères. » Les procureurs généraux exécutèrent mes instructions et partout les Journaux démagogiques furent poursuivis et sévèrement frappés.

Il restait, en dehors de cette action judiciaire, à surveiller les conspirateurs, à s’assurer de l’endroit où ils gîtaient, à réunir les preuves contre eux, à les suivre dans leurs démarches afin de n’avoir qu’à étendre la main pour les saisir sur l’heure. Ce sont les instructions que nous donnâmes au préfet de police. Et comme des communications dangereuses pouvaient être contenues dans les lettres privées des conjurés, nous rouvrîmes le cabinet noir qu’à notre arrivée aux affaires nous avions fermé[1]. Nous introduisîmes cependant une innovation. C’était jusque-là au préfet de police et à l’Empereur que le cabinet noir transmettait les lettres retenues : nous décidâmes qu’elles seraient envoyées au garde des Sceaux seul, qui, sous sa responsabilité, en disposerait souverainement.

Une mesure non moins urgente que la surveillance de la polémique des journaux était de mettre un terme à l’espionnage qu’ils continuaient à exercer malgré tout au profit de la Prusse, par leurs indiscrétions quotidiennes et par celles des correspondans, qui pullulaient déjà à tous les points de rassemblement des armées. Les Prussiens se procuraient nos journaux, et

  1. Tous les pays libres admettent, dans les circonstances graves, d’ouvrir, retenir ou saisir des lettres privées. Un statut passé l’an Ier du règne de la reine Victoria (titre 56) l’établit formellement, et la découverte du complot des Fenians amena le gouvernement anglais à en user en 1881 (14 février, Chambre des Communes). — « Sir William Harcourt : Le pouvoir d’un secrétaire d’Etat d’ouvrir, retenir ou saisir les lettres, est stipulé dans le statut passé l’an premier du règne de la reine Victoria, titre 56. L’exercice de ce pouvoir engage la responsabilité du ministre qui en use, et il ne doit le faire que dans les circonstances les plus graves et quand la sécurité de l’État et des citoyens l’exige. L’existence notoire d’un complot comme celui des fenians légitime l’usage de ce pouvoir dans le passé comme dans l’avenir. Il faut ou me le retirer, ou, si l’on me le laisse, me dispenser de répondre à aucune question sur l’usage que j’en aurai fait ou ferais ! — M. Callan : Est-il vrai que le gouvernement ait intercepté la correspondance d’un député au cours de la section actuelle ? M. Forster : Je ferai à cette question identiquement la même réponse que mon collègue sir William Harcourt. »