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C’est révoltant de lire ces choses-là, qui sont lues à Sébastopol quelques jours avant qu’elles nous parviennent ici. En 1866, l’archiduc Albert fut instruit, par le bavardage des feuilles publiques, des principales dislocations des forces italiennes et de leurs effectifs.

Les Prussiens se montrèrent, en cette matière comme dans les autres, fidèles aux maximes du législateur de la guerre. Leur ministre de l’Intérieur, Eulenbourg, adressa dès le 10 juillet aux différens journaux l’avis suivant : « J’ai l’honneur d’inviter les honorables rédacteurs des journaux paraissant en Prusse, à ne donner, à partir d’aujourd’hui, aucune nouvelle, si insignifiante qu’elle puisse paraître, sur les mesures militaires et les mouvemens des troupes. » Ils admirent cependant dans leurs quartiers généraux des correspondans de journaux anglais parce qu’ils les savaient amis, mais en les entourant d’une telle surveillance que leur présence fût un secours et non une gêne.

L’avis d’Eulenbourg avait été immédiatement obéi ; les journaux avaient fait un silence absolu sur ce qu’il importait que nous ignorions. Nous n’avions pas à espérer une telle discipline de la part de nos journalistes. Même avec une presse amie ou uniquement animée du sentiment patriotique, les divulgations indiscrètes étaient à craindre ; avec une presse qui plaidait la cause de l’étranger, elles étaient certaines. Nous proposâmes une loi ainsi conçue : « ARTICLE 1er. Il pourra être interdit de rendre compte, par un moyen de publication quelconque, des mouvemens des troupes et des opérations militaires sur terre et sur mer. Cette interdiction résultera d’un arrêté ministériel inséré au Journal officiel. — ART. 2. Toute infraction à l’article 1er constituera une contravention et sera punie d’une amende de 5 000 à 10 00 francs. En cas de récidive, le journal pourra être suspendu pendant un délai qui n’excédera pas six mois. — ART. 3. La présente loi cessera d’avoir effet si elle n’est pas renouvelée dans le cours de la prochaine session ordinaire. »

Jules Ferry attaqua cette loi avec acrimonie : c’était moins une mesure pour la guerre qu’une mesure contre la liberté. « Vous voulez empêcher des indiscrétions périlleuses. Est-ce que ce danger existe ? Vous supposez donc que nos ennemis ont besoin de lire les journaux français pour se mettre au courant des mouvemens de nos troupes ? » Un ancien officier, le baron