Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/477

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

goutte de sang. — Et, en effet, la grève la plus redoutable en apparence s’est apaisée au bout de quelques jours, sans qu’il y ait eu à déplorer la perte d’une seule vie humaine. La majorité s’est ressaisie. Plusieurs votes se sont succédé. A l’un d’entre eux, les socialistes unifiés se sont trouvés seuls et on a pu les compter : ils sont 75. C’est avec cela qu’ils ont essayé de terroriser la Chambre et qu’ils y ont, pour un moment, réussi.

Que dire d’ailleurs de la parfaite hypocrisie de leur attitude ? De quel droit s’insurgeaient-ils contre le mot de M. Briand ? On aurait pu le faire au centre ; mais eux, non. La violence est au nombre des moyens d’action dont ils se plaisent à faire la théorie en attendant de pouvoir en faire l’application pratique. M. Jaurès lui-même n’a-t-il pas dit et écrit vingt fois qu’il ne l’excluait nullement des procédés à employer, et qu’il faudrait y recourir un jour ? Tout est bon pour lui et pour les siens, la légalité et l’illégalité, la première lorsqu’ils sont les plus faibles, la seconde lorsqu’ils se croient les plus forts. Et ce sont ces hommes qui nous donnent la comédie de leur indignation quand un autre qu’eux exprime la pensée qu’en de certains cas extrêmes, le salut de la patrie est la suprême loi ! Le spectacle qu’ils ont donné l’autre jour a tourné contre eux. La Chambre a senti qu’elle se déshonorerait très vite si elle en tolérait une nouvelle représentation. Un jour, pendant quelques heures, la liberté de la tribune a cessé d’exister. C’est ainsi que les parlemens se déconsidèrent et préparent la voie à une dictature autrement dangereuse que celle de M. Briand.

Le ministère donc a triomphé, mais on a appris aussitôt qu’il ne survivrait pas à son triomphe et qu’il était démissionnaire. Il y a eu un moment de surprise. On s’attendait bien au départ de M. Viviani. On se rappelait bien que, dans un de ses discours, M. Briand avait dit que sa loyauté ne lui permettait pas d’engager ses collègues au-delà des délibérations auxquelles ils avaient pris part : cette réserve indiquait évidemment que l’accord n’était pas encore fait sur tous les points dans le Cabinet, et elle laissait entendre que, peut-être, elle ne se ferait pas. Malgré ces symptômes, on ne s’attendait pas à, une démission immédiate et collective, mais à la réflexion, et la réflexion a été rapide, on l’a généralement approuvée.

La raison que M. Briand en donnait dans une note officieuse est que le Cabinet était ancien, et que des questions nouvelles étaient posées. Le Cabinet était d’autant plus vieux en effet que ce n’était pas Briand qui l’avait formé, mais M. Clemenceau : en somme, c’était le M. le Cabinet Clemenceau prolongé. Lorsque M. Briand en est devenu