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tage, l’antimilitarisme et l’antipatriotisme n’étaient pas venus la troubler. Quant à M. Millerand, ministre des Travaux publics, le discours qu’il a prononcé a produit une grande impression sur la Chambre et au dehors de la Chambre. Après ce discours, après celui de M. le président du Conseil, la Chambre ne pouvait plus mettre en doute le caractère révolutionnaire de la grève, et elle ne pouvait dès lors qu’approuver les mesures prises par le gouvernement pour en arrêter les progrès. Elle a accordé sa confiance au ministère ; elle l’a même fait à une très forte majorité, en dépit d’une parole imprudente prononcée par M. le président du Conseil et de l’orage qu’elle a déchaîné. M. Briand venait de démontrer, d’une manière à notre avis lumineuse, que pendant la grève des cheminots le gouvernement avait scrupuleusement respecté la légalité, et il s’en félicitait. « Mais, a-t-il ajouté en se tournant vers l’extrême gauche, je vais vous faire bondir… » L’extrême gauche ainsi avertie s’est naturellement ramassée sur elle-même pour s’apprêter à bondir, puisqu’elle y était provoquée, et M. le président du Conseil a continué en disant que dans des circonstances exceptionnellement graves, si les frontières étaient menacées, si la patrie était en danger, ce serait le devoir du gouvernement de suppléer par son initiative aux insuffisances possibles de la loi. Sans doute. On trouverait facilement chez les anciens et chez les modernes des formules fameuses qui donneraient raison à M. le président du Conseil. Mais en politique, ce qui est inutile est le plus souvent dangereux, et le mot de M. le président du Conseil était certainement inutile et inopportun. Il a failli tout compromettre. La bataille était gagnée ; le vote de la Chambre n’était plus douteux ; tout a été remis en cause et, si le vote avait eu lieu dans l’effervescence du premier moment, nul ne sait ce qui serait arrivé. Heureusement, il a été renvoyé au lendemain. M. le président du Conseil a d’ailleurs fait très bonne contenance à la tribune. Il a lutté jusqu’au bout contre les clameurs de la gauche, le bruit des pupitres, les injures, les outrages qui le laissaient impassible ; mais il n’a pas pu se faire entendre, le tonnerre lui-même n’y aurait pas réussi ; et comme il tenait à ce que ses explications fussent au moins recueillies par le pays, il s’est penché sur le rebord de la tribune pour les dicter aux sténographes. Ces mêmes explications, il les a données de nouveau le lendemain et, cette fois, il n’a pas été interrompu par ses adversaires. On l’avait accusé de poursuivre la dictature. — Je suis, en vérité, un pauvre dictateur, a-t-il dit ; votez contre moi et je disparais, je rentre dans le rang. Quant à ce que j’ai fait, voyez mes mains, il n’y a pas une