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habituelle d’observer et de représenter notre vie humaine, avec une curiosité toujours mêlée de fervente pitié, sous l’apparence volontiers ironique de son expression. Tout de même que, naguère, l’attrait inoubliable de sa Jettchen Gebert était venu surtout à ce roman de la tendre émotion avec laquelle l’auteur s’ingéniait à deviner et à nous traduire jusqu’aux nuances les plus subtiles de la douleur ou de l’épouvante tragique de son héroïne, de même nous avons maintenant l’impression qu’à chacune des pages du roman nouveau un ami invisible d’Emile Kubinke l’accompagne fidèlement jusque dans les moindres épisodes de sa misérable existence, et, comme avait fait le Printemps un beau matin de dimanche, lui sourit et s’amuse avec lui de tous ses plaisirs, mais plus encore s’inquiète pour lui des dangers dont il le devine infailliblement menacé, et puis, lorsque la catastrophe est déjà toute proche, se désole de son impuissance à l’en préserver. Loin de constituer un obstacle à sa sympathie, l’humble condition du garçon coiffeur semble plutôt l’avoir stimulée, en le préparant d’avance à ne rencontrer, chez un tel personnage, qu’une maigre somme de divertissement parmi bien des peines ; et par-là aussi l’auteur du Kubinke se révèle à nous le digne héritier littéraire de celui d’Oliver Twist et des Temps difficiles. De façon que pas un instant, nous ne nous avisons de regretter le choix du milieu social où nous introduit M. Georges Hermann, ni la pauvre qualité des pensées ou des sentimens qu’il nous y décrit. Assurément, l’élégante nièce de Salomon Gebert et son noble ami le poète Kœssling avaient autrefois, pour nous intéresser à leur destinée, des titres que ne saurait posséder l’obscur fiancé de la femme de chambre de Mme Lœwenberg ; mais c’est comme si M. Hermann, afin de racheter à nos yeux cette infériorité personnelle et foncière de son Kubinke, s’était efforcé de nous faire pénétrer plus avant au secret de son être, c’est comme s’il l’eût étudié de plus près et aimé davantage, et, de par son active compassion pour lui, l’eût revêtu d’une mystérieuse beauté morale qu’il ne nous fût point possible de ne pas goûter.

Je dirai plus : au point de vue du métier littéraire, ce roman du garçon coiffeur berlinois égale et surpasse le remarquable roman de-mœurs juives qui, naguère, a établi la réputation de M. Hermann. Pardessus l’habile et savante imitation de modèles fameux, allemands ou étrangers, le talent propre du jeune écrivain s’y affirme et déploie avec plus d’aisance ; et jamais notamment nous n’avions encore admiré, dans Jettchen Gebert non plus que dans le médiocre roman qui l’avait suivi, un don aussi original d’observation réaliste, saisissant