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agrément romanesque ni en exemplaire beauté poétique cette histoire d’une jeune fille juive que ses oncles contraignent à épouser sans amour un homme de sa race, tandis qu’elle a donné tout son cœur à un jeune poète de naissance chrétienne[1]. « Directement sortie de l’école des romanciers allemands du siècle passé, — écrivais-je, — Jettchen Gebert ne nous en présente pas moins une physionomie très originale, aussi bien par la singularité de son sujet que par l’élégance et la sûreté de son exécution. Une chronique, la peinture détaillée d’un milieu social, avec une intrigue constamment entrecoupée de portraits, de paysages, de scènes épisodiques : mais ni l’intrigue ni ces digressions ne ressemblent à colles d’aucun autre roman, ni jamais l’auteur ne nous fatigue ou ne nous ennuie ; jamais nous ne nous interrompons de prendre plaisir à la série diverse des images qu’il prend un plaisir infini, lui-même, à évoquer devant nous. » L’impression de surprise charmée que m’avait produite ce premier roman de M. Hermann avait été partagée, tout de suite, par l’Allemagne entière, qui, sans faire à Jettchen Gebert l’énorme vogue populaire du Jœrn Uhl de M. Frenssen, ne l’avait pas moins adoptée comme l’un de ses livres de choix, avec une respectueuse sympathie pour le jeune écrivain dont elle l’avait reçu. Du jour au lendemain, M. Georges Hermann était devenu célèbre dans son pays, chacun y attendait impatiemment l’œuvre nouvelle qu’il allait publier. Et lorsque M. Hermann, l’année suivante, avait fait paraître un second roman, Henriette Jacoby, qui était la conclusion de l’aventure mélancolique racontée précédemment dans Jetlchen Gebert, chacun avait éprouvé la sensation que ce n’était là qu’une besogne exécutée sans plaisir, comme le sont trop souvent ces continuations d’œuvres qui ont obtenu du public un accueil inespéré. Ou plutôt, pour parler franchement, chacun avait été quelque peu déçu, car ce second roman du jeune auteur à la mode ne laissait voir qu’un bien petit nombre des fines et charmantes qualités littéraires du premier. Mais on s’était consolé en songeant que, sans doute, après le brusque succès de sa Jettchen Gebert, M. Hermann ne s’était plus senti d’humeur à s’occuper encore du même sujet ni des mêmes caractères ; en quoi, suivant toute vraisemblance, on avait deviné juste, puisque j’ai dit déjà qu’il serait impossible d’imaginer deux milieux plus différens que la riche bourgeoisie juive de 1830, telle que nous la décrivaient ces deux premiers romans de M. Hermann, et l’humble petit monde tout moderne de garçons coiffeurs et de cuisinières qui, avec

  1. Voyez la Revue du 15 octobre 1907.