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Comme je regrettais, en le lisant, cette pure lumière élyséenne qui brille dans vos écrits ! Largior hic campos

Tant que vous resterez au milieu de nous, il y aura encore quelque consolation à vivre, puisque les plus hautes et les plus fines pensées de notre époque auront encore un interprète digne d’elles…

Je vous ai vu cette fois plus longuement, plus intimement, au milieu de votre famille et de vos amis ; l’image de vous qui vit en moi, cette image où quelques traits manquaient encore, est désormais parfaite et accomplie. Oui, dans mes heures tristes, je pourrai désormais évoquer une si chère image ; vous m’apparaîtrez tel que je vous ai vu au milieu des vôtres : « noble et vénérable, puissant et doux, travaillant sans trêve, calme dans la poursuite du vrai, sérieux et ferme, mais l’amour dans le cœur et la bienveillance sur les lèvres. » C’est à peu près en ces termes que Zeller parle de Baur…

Vous savez, cher maître, ce que vous êtes pour moi ; ou plutôt, vous ne le savez pas tout à fait, ne pouvant assister à ma vie intérieure où vous tenez une si grande place.

Je suis, cher maître, cher et grand poète, une des âmes qui ont salué avec le plus de joie vos premiers chants ; je voudrais entendre encore les derniers, je voudrais être un des amis, un des fidèles des dernières heures, comme j’ai eu le privilège d’être un de ceux des premières…


Quand Renan, ses Origines du Christianisme une fois finies, se fut plongé dans son Histoire du peuple d’Israël, il renonça à peu près à la correspondance ; ce fut à Mme Renan que Charles Ritter écrivit désormais, et ce fut Mme Renan qui lui répondait régulièrement et longuement : on n’a rien cru devoir publier de ces lettres intimes. Quelque opinion qu’on puisse avoir sur la personne et l’œuvre de Renan, il est à son honneur d’avoir conservé jusqu’au bout, inentamée, vivace et sans nuage, une amitié comme celle de Charles Ritter.

Les rapports de ce dernier avec Taine, dont il était « un des plus anciens admirateurs, » ont été plus fugitifs, mais nous ont valu de l’auteur de l’Intelligence plusieurs intéressantes lettres que l’on trouvera d’ailleurs, — sauf un court billet, — dans sa Correspondance, et qui renferment de curieux juge mens sur George Eliot et Tourguenef, Strauss et Sainte-Beuve. Charles Ritter entrevit Taine un jour à Menthon-Saint-Bernard, et put un peu l’entretenir de « sa sainte. » Taine parla « avec admiration » de Middlemarch, mais en vint bien vite à Flaubert et à Tourguenef : Terres vierges lui paraissait « le dernier mot de l’art. » « Je soupçonne, ajoute finement son timide interlocuteur, en rendant compte de cet entretien à un ami, je soupçonne ce grand esprit de Taine, d’avoir moins de goût que votre