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prédilections les plus intimes. Sorti incroyant d’une crise religieuse qui, quoique bien juvénile, semble avoir été, sinon très longue, tout au moins assez douloureuse, il n’en était pas sorti irréligieux. Qui donc a dit fort justement, — n’est-ce pas M. Lanson, à propos de Rousseau ? — que le protestantisme, précisément parce qu’il présente bien des nuances, bien des accommodemens, bien des moyens termes, enfante rarement chez ceux qui s’en affranchissent l’anticléricalisme violent et sectaire qui trop souvent caractérise les évadés du catholicisme ? Charles Ritter avait gardé de sa foi première et de ses études théologiques un goût passionné de la vie intérieure, des préoccupations morales intenses, un profond respect et une sympathie sincère pour tous les modes de la croyance, une curiosité presque nostalgique des choses religieuses : du vase vide il continuait à respirer le parfum. Et les livres qui l’attiraient le plus, c’étaient ceux qui posaient sous sa forme moderne ou sous sa forme historique le problème religieux : le Port-Royal de Sainte-Beuve, les Origines de Renan, les écrits de Strauss, certaines études de Scherer, les romans de George Eliot, voilà quels étaient ses livres de chevet ; il sympathisait, comme on le voit, tout particulièrement avec ceux dont l’histoire morale n’était pas sans analogie avec la sienne ; et peut-être, tout au fond de lui-même, leur savait-il un gré infini d’avoir passé par les mêmes crises que lui, et d’en être sortis comme lui. On s’aime toujours un peu dans les autres, et l’on n’admire bien que ceux qui ont le bon goût de nous ressembler.

Dans cette ardeur d’affranchissement intellectuel où se reconnaissent tous les jeunes esprits qui découvrent la critique et la science, et qui s’essaient à penser, Charles Ritter s’était du premier coup porté jusqu’à l’extrême-gauche du protestantisme libéral. Strauss lui fut une révélation. « Je serais livré, écrivait-il au mois d’août 1864, je serais livré à la folie des gémissemens et à la vanité de l’ennui, si je n’étais plongé tout entier dans mon cher Strauss, qui est décidément devenu, depuis que je l’ai visité au mois de mars dernier, depuis surtout que j’ai entendu M. Kuno Fischer me parler de lui, le plus vif de mes enthousiasmes littéraires. » Et il rend compte ainsi à un ami de sa visite au grand homme. « Je l’ai trouvé bienveillant et affable,