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eus à sa disposition. Le reste avait été dépensé pour la cause ou semé dans le transport. Il avait même dû y ajouter de ses propres deniers. L’expédition ne laissa pas que de coûter cher au Roi, qui voulut le rémunérer de ses débours. Conti préféra, dit la chronique, l’effet de la générosité royale à l’appât de la couronne. Il fut surtout heureux de rejoindre le volage objet de sa flamme. Louis XIV le reçut cordialement, bien que sans doute il eût préféré ne pas le revoir si tôt. Que de petites passions donnent parfois la clé des événemens les plus graves ! A toute fâcheuse entreprise, il faut un bouc émissaire. L’abbé de Polignac ne fut pas épargné : « l’homme présomptueux et inconsidéré qui avait mené l’affaire surtout dans son propre intérêt, » dit Saint-Simon. Tant de noirceur n’apparaît pas, à la lecture des dépêches diplomatiques. Ses illusions auraient pu se changer en réalités, si l’on eût déféré plus tôt à ses appels incessans, à ses demandes d’argent et de subsides.

Conti, à sa rentrée en France, se montra quelque peu ingrat vis-à-vis du négociateur qui avait tant travaillé pour lui. Il lui reprocha, non sans aigreur, de l’avoir entraîné dans un guêpier, presque dans un guet-apens. Le prince s’en plaignit même en public, « ne pouvant pardonner à Polignac, dit malicieusement Saint-Simon, la peur que celui-ci lui avait donnée. »

Le grand Roi témoigna plus que sa mauvaise humeur au malencontreux diplomate. Il le disgracia et l’exila dans son abbaye d’Anchin jusqu’en 1701[1]. Cette fois l’opinion publique, toujours si mobile en France, fut assez sévère pour François-Louis de Conti, qui avait été jusque-là son favori, et le triste dénouement de l’affaire de Pologne lui fit perdre un peu de son prestige et de sa belle popularité. « Il ne parut pas à cette occasion, dit le marquis de La Fare[2], avoir eu l’âme aussi élevée qu’on se l’était imaginé. S’il l’avait eue, il aurait été roi, et la Pologne plus heureuse qu’elle n’a été depuis. » Tout se paye en ce monde, même l’amour ! Ici, l’amour avait barré le chemin de la gloire. Dalila avait coupé les cheveux de Samson.


Général DE PIEPAPE.

  1. Dangeau, 14 novembre 1697, VI, p. 227-229. Polignac au Roi, 22 novembre. Torcy à Polignac, 18 décembre. A. E. vol. 96. Pologne, f° 249. Annales de la Cour, 11, 12.
  2. Mémoires de La Fare, Curiosités historiques, I, 293, 297.