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Il ne voulut pas entamer le combat et « déconcerta ses amis par ses hésitations inattendues, par ses répugnances non dissimulées[1]. » Ne pouvant supporter plus longtemps, sans grand espoir de réussir d’ailleurs, une séparation trop cruelle à son amour, il sacrifiait en ce moment à cette folle pensée secrète et à des difficultés qu’il s’exagérait encore, jusqu’à sa haute réputation guerrière. Lorsqu’un nombreux parti lui était annoncé pour sa défense, « lorsque tant d’ambitions s’étaient éveillées, tant d’intrigues avaient été nouées pour obtenir cette couronne, celui-là seul qui l’avait reçue, aveuglé par sa passion, n’aspirait qu’à la perdre[2]. » La faute principale venait de ses hésitations et de ses lenteurs. Ses excuses étaient dans le peu d’appui matériel qu’il avait reçu du Roi, et une fois devant Dantzig, dans l’attitude de ceux qui l’y avaient accueilli. Ce fut pour son amour-propre une profonde blessure. « Ni la dignité, ni la froideur d’un prince du sang de France, ni la majesté royale, ni le mérite personnel d’un candidat si connu de toute l’Europe, n’empêchèrent les Dantzicois de manifester leur mauvaise volonté pour le nom français. » Alors, il y eut une série d’insultes à essuyer : refus du salut au pavillon de France par les vaisseaux marchands mouillés dans la rade, insolence des bourgeois pour les officiers de l’escadre.

Polignac, tout en écrivant au Roi pour se plaindre et s’indigner, engageait ses compatriotes à dévorer ces insultes. Bientôt son caractère d’ambassadeur ne fut même plus respecté. La neutralité de la mer Baltique empêchait le chef d’escadre de tirer de Dantzig la satisfaction qu’on aurait pu en exiger. Cependant par représailles, Jean Bart fit arrêter sept bâtimens dantzicois dans la rade[3]. Le lendemain, en revanche, les Dantzicois firent fermer les portes de la ville et retenir tous les Français qui s’y trouvaient, même des gens de l’ambassade. On vendit les chevaux de carrosse de l’abbé de Polignac, « et jusqu’aux chariots servant à transporter ses meubles[4]. » Le magistrat de Dantzig écrivit aux rois de France et d’Angleterre, à la Suède,

  1. Marius Topin, L’Europe et les Bourbons sous Louis XIV.
  2. Id., loc. cit.
  3. « Il n’y a que la ville de Dantzig qui ait eu l’imprudence, à la vue de ce prince, de se déclarer pour l’Électeur de Saxe, et de faire des insultes aux officiers de V. M. que M. Bart envoyait à terre, pour les besoins de son escadre. » (Polignac au Roi.)
  4. Gazette d’Amsterdam, p. 374-376.