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tenir ses engagemens, dès qu’il aurait vu l’effet des paroles données par ses partisans. Tous les députés n’étaient pas encore là le 9 octobre. Il y manquait les Lithuaniens, ce qui retardait « l’ambassade solennelle » et par conséquent l’entrée du prince dans son royaume.

Bien qu’il différât toujours de prendre le titre de roi, « les Polonais, dans leurs discours et dans leurs lettres, ne laissaient pas que de le traiter comme leur maître avec toutes les démonstrations d’un zèle incomparable, » écrivait l’ambassadeur[1].

Conti avait ses raisons pour ne pas entrer dans Dantzig. Il savait que 5000 hommes de l’Electeur, divisés en deux corps, étaient en marche sur Marienbourg et Oliva, pour s’opposer à sa descente et empêcher la jonction de la noblesse avec lui.

Quand la députation finit par être au complet, elle vint le saluer à son bord. On but « à la polonaise, » et l’on porta des toasts au nouveau souverain. Voyant le mauvais vouloir du magistrat de Dantzig, Conti fit transporter à Marienbourg une grande quantité de munitions de guerre et du canon. Il parvint aussi à faire lever pour lui quelques contingens. Il fit distribuer tout ce qu’il put d’argent aux troupes, mais il manqua bientôt de subsides. Pendant ce temps, l’Electeur de Saxe faisait avancer ses forces, et ses partisans le précédaient par leurs manifestations hostiles. Un des généraux saxons, Brandt, avec 1 000 à 1 200 chevaux, vint saccager les environs de Dantzig, et, entre autres, l’abbaye d’Oliva. Un valet du prince français fut surpris, lié à un arbre, mis à nu. « Crie à présent : Vive Conti ! » lui dirent ses insulteurs. Déjà on était en état de guerre.

L’abbé de Polignac[2], voyant son action paralysée par mille incidens hostiles, ne songea plus qu’à se dérober et à réembarquer le personnel de l’ambassade. Jean Bart envoya, le 8 octobre, une soixantaine de soldats pour protéger l’embarquement. A peine descendus dans leurs chaloupes, ils durent essuyer le feu des premiers cavaliers saxons qui, à ce moment, débouchaient de tous côtés. Le prince, averti de ce grave incident, et sachant que ses gens étaient reçus par la fusillade, jugea du coup l’entreprise manquée.

  1. Polignac au Roi, 8 octobre 1691. A. E. Pologne, 96, f°, 208. Dangeau. VI, 183. Mémoires des Curiosités historiques, Gazette d’Amsterdam, n° XCIII, p. 374-376, n° LXXIX. Lettres de Dantzig à Thorn (11 et 15 octobre). Archives de Dantzig.
  2. Polignac au Roi Louis XIV (d’Oliva, 30 octobre). A. E. Pologne, 96, f° 237.