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suite à lui donner pour successeur un nouveau prince français. Le nom de Conti fut mis en avant et agréé par Louis XIV. On allait ainsi reprendre à Versailles les anciens projets d’il y avait trente ans, avec l’espoir d’enlever la Pologne aux influences autrichiennes et de la détourner de la guerre contre les Turcs. L’instrument de cette politique habile siégeait déjà à Varsovie, au cœur de la place. C’était l’abbé Melchior de Polignac, l’élégant prélat qui devait plus tard, étant le confident de la duchesse du Maine et revêtu alors de la pourpre cardinalice, jouer un rôle important dans la conspiration de Cellamare.

Nommé, en mars 1693, ambassadeur en Pologne en même temps que l’abbé de Bonport[1], il s’était chargé avec empressement de préparer l’élection par des négociations avec les magnats de la « République polonaise[2]. » Il croyait avoir réussi à faire agréer le neveu et l’élève favori du grand Condé, à cause de ses origines et de sa nature chevaleresque. Cependant, une forte opposition s’éleva en Pologne contre une candidature française, et Conti s’y trouvait en butte aux calomnies de cette cabale. L’ambassadeur de France à Varsovie était un personnage ambitieux, mais un ambitieux de haute naissance et de grande envergure. Il avait « beaucoup d’esprit, dit Saint-Simon, surtout de grâces et de manières, toute sorte de savoirs, avec le débit le plus agréable, la voix touchante, une éloquence douce, insinuante. Tout couloit de sources, tout persuadoit. » — « C’est, disait de son côté Mme de Sévigné, l’un des hommes du monde dont l’esprit me paraît le plus agréable. »

Il y avait là de réelles qualités pour un diplomate. Mais, emporté par ses illusions, Polignac allait se jeter et jeter trop légèrement le roi de France avec lui dans une terrible impasse. Dès le début, et non sans présomption, il se déclara en mesure de faire réussir l’élection désirée, là où avaient échoué trois candidatures françaises précédentes. Il s’agissait avant tout, selon lui, d’engager le prétendant à répandre dans le pays des largesses, des cadeaux, de fortes gratifications, autant dire que la couronne de Pologne était à vendre au plus fort enchérisseur. Le pays manquait d’argent. Il lui en fallait à tout prix.

  1. Melchior, second fils du vicomte de Polignac, né au Puy, le 11 octobre 1661, avait accompagné le cardinal de Bouillon au conclave de 1680, et était retournée Rome en 1691, pour l’élection d’Innocent XII.
  2. C’est ainsi qu’on désignait le royaume de Pologne.